Deux expositions montées cet été à Paris, au Plateau et à la galerie Motte et Rouart, autour des questions sur l’argent, l’une centrée sur l’économie et tout particulièrement celle drainée par le monde de l’art, l’autre sur les représentations géopolitiques émanant du commerce du pétrole.
Chose étonnement possible dans le monde de l’art, un point que tous partagent au-delà des préoccupations conceptuelles ou esthétiques : l’argent. En effet, impossible de produire sans matériau, d’exposer sans budget, de diffuser sans crédits. Et la question se fait d’autant plus présente qu’actuellement le marché de l’art se veut florissant et multipolaire, emporté dans le mouvement général de mondialisation. Au Plateau, l’exposition conçue par Caroline Bourgeois et Elizabeth Lebovici nous invite à suivre les différentes positions qu’ont eu les artistes sur ce thème depuis les années 70. Orlan avec le baiser de l’artiste, performance réalisée à la Fiac de 1977 où, en échange d’une pièce de 5 francs, elle rend un baiser, souligne l’état de la culture comme marchandise tandis que le corps de l’artiste s’expose dans une réification (le corps de l’artiste comparé à un tronc d’église). L’exposition met en avant nombreuses pièces jouant de l’appropriation, du détournement, de la parodie et de la mise en exergue critique des mécanismes de l’économie et de l’entreprise : stand monté par General Idea, The Belly Store proposant des objets bon marché aux insignes du groupe canadien, pilules miracle de Dana Wyse évoquant le caractère fétiche de la marchandise, classement relatif à la valeur monétaire par Claude Closky, images manipulant les codes liés à la réussite sociale de Philippe Thomas, entreprise fictive Ouest Lumière de Yann Toma, symbole du luxe, la montre suisse, exécutée par Thomas Hirshorn en scotch et en carton… Nourries de l’art conceptuel, ces œuvres posent une réflexion sur leurs limites au-delà desquelles se joue une chaîne économique de production, la catégorie de l’art s’y dissolvant dans celle de la marchandise. D’autres pièces abordent la problématique différemment et cherchent à faire monter des représentations cyniques de notre rapport à l’argent comme Gloria Friedman, Tracey Amin ou Malachi Farell. Si cette exposition s’avère particulièrement riche et structurée, elle est abordée sous un angle historique et se trouve largement investie par le style de l’art conceptuel issu des années 70. Aussi traite-t-elle de l’argent dans l’art, des conditions matérielles de la création, des lois d’échange et de marché, des différents symboles et mythes qui l’accompagnent. A sa suite, il serait alors intéressant de poser la question de ce que pourrait être l’argent pour l’art, comme détermination de catégories esthétiques, de formes venant tout autant critiquer que matérialiser une économie et une certaine culture, celle de la consommation et de la production de masse en Occident. L’art conceptuel se trouve au cœur de ces problématiques et même s’il pose un regard distancié et implique un discours sur les flux monétaires, il n’en est pas moins une émanation.
C’est en réponse à l’exposition du Plateau que la galerie Motte et Rouart propose de rassembler des œuvres autour de l’icône qu’est devenu le pétrodollar. On retrouve Malachi Farell avec une installation mettant en scène G. Bush et Ben Laden transformés en mendiants et, tels des marionnettes, se faisant glisser tour à tour quelques pièces de monnaies dans leur timbales respectives. Des photographies de George Osodi montrent la vie quotidienne et de misère qui se déroule au premier plan de l’exploitation de pétrole en Nigeria. Le groupe BP présente un de ses célèbres panneaux noirs de jais où s’écoule le précieux liquide. En posant l’accent sur le pétrodollar, pilier de la géostratégie des Etats-Unis et de l’économie des pays arabes, l’exposition souligne les fluctuations boursières qui atteignent l’hégémonie de l’un, tout autant qu’elles poussent l’émergence des autres. La montée de la mondialisation (qui ne date pas d’hier, mais des temps lointains de la colonisation) et de sa médiatisation ne rend que plus acerbe le lien entre art et économie. Si le Plan Marshall en Europe s’est accompagné de la diffusion des produits cinématographiques américains, aujourd’hui le Louvre glisse une antenne à Abou Dhabi et bientôt le musée Guggenheim suivra ce modèle. L’argent pour l’art est bien sur l’essentiel moteur de la production artistique ou de l’événement culturel mais se constitue également, en amont, dans les conditions de leur émergence.