Pierre Coulibeuf mène un travail cinématographique et plastique qui crée des liens transversaux avec d’autres arts comme avec d’autres univers de créateurs contemporains. Ceux-ci peuvent venir de la littérature comme Michel Butor ou Maurice Blanchot, de la photographie tels Jean-Marc Bustamante ou Jean-Luc Moulène. Dans le champ des arts plastiques il a mené des collaborations avec Pierre Klossowski, Michelangelo Pistoletto ou Marina Abramovic. Le corps restant leur dénominateur commun il a exploré les univers des danseurs Meg Stuart, Benoît Lachambre et Jan Fabre. C’est l’installation « Warriors of Beauty » une recréation de l’univers du chorégraphe et plasticien belge avec sa participation et celle de sa troupe qui est actuellement montrée à l’Abbaye de Neumünster, à Luxembourg, avec la galerie Nosbaum Reding et le Centre Culturel Français à Luxembourg.
L’installation comprenant deux projections video et une série de huit photographies couleur, C-Print a été conçue à partir du long métrage Les Guerriers de la beauté où le cinéaste s’inspire de l’univers scénique de Jan Fabre. Le réalisateur l’a transposé dans les nombreuses arches de la forteresse d’Anvers, dont les plafond bas recréent un labyrinthe où règne une des danseuses favorites de la troupe Els Deceukelier telle une Ariane en robe de mariée. Dans cet espace de fiction se croisent un homme en armure, le chorégraphe et de nombreux danseurs et danseuses nus aux agissements proches d’une animalité primitive. Sur la carrure musculeuse de l’un d’entre eux circulent des scarabées chers au sculpteur belge.
Le double passage de la scène au lieu du tournage, du théâtre à la vidéo permet dans le débordement spatial de la situation la transformation d’une image seulement critique en une image réellement performative.L’énergie qui en découle provient aussi bien du jeu des pulsions que des nombreux dédoublements et simulacres d’affrontements qui constituent autant de rituels transdisciplinaires.
Georges Didi Hubermann dans Histoires de fantômes pour grandes personnes présentée au Fresnoy rappelle que « nous ne vivons notre présent qu’à travers les mouvements conjugués, les montages de mémoires (gestes que nous esquissons vers le passé) et de nos désirs (gestes que nous esquissons vers le futur). Les images seraient alors à regarder comme les carrefours possibles de tous ces gestes conjugués. » . Dans tous les protocoles critiques mis en place par Pierre Coulibeuf le montage cinématographique rejoue la mémoire d’un autre artiste, tandis que l’installation constitue un désir de mise en oeuvre dans la dialectique entre projection et images fixes.
Si en 2004 la rétrospective des films de Pierre Coulibeuf en 35mm était titrée “Le démon du passage”, on peut en voir un nouvel avatar dans cette installation qui joue des mises en abyme où les identités, féminines et masculines, sont interrogées dans une quête convulsive de la beauté toujours en métamorphose aux frontières des disciplines danse, performance et image.