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Revue d’art depuis 2006

L’art de la décélération : Mouvement et repos dans l’art de Caspar David Friedrich à Ai Wei Wei

Selon Paul Virilio quand on parle de l’évolution technologique et de l’ère de la vitesse on ne peut pas ignorer son contraire. Chaque nouvelle invention de l’homme, chaque accélération de l’évolution produit également son contraire en ayant dans son programme même la possibilité de l’accident ou de l’arrêt brutal de ce processus évolutif.

L’œuvre de Jonathan Schipper intitulée The Slow Inevitable Death of American Muscle (2007-2008) installée devant le musée qui est sponsorisé par Volkswagen, en est une illustration pertinente. Le crash mis en scène au ralenti par l’artiste figure comme « pré-prologue » ou épilogue à l’exposition. Si la thématique de l’accélération et de la décélération y est particulièrement suggestive, ce travail nous emporte aussi au-delà de la symbolique de la vitesse associée à l’accident en questionnant le rapport voyeuriste et contemplatif du spectateur devant ces représentations dans leur spectacularité.

Le spectaculaire et le contemplatif s’opposent aussi dans la scénographie de l’exposition qui a été créée de sorte à juxtaposer la spirale dynamique qui nous emmène dans un couloir d’œuvres thématiques et chronologiques de Goethe à Chalayan et les petits espaces où dialoguent merveilleusement des œuvres choisies pour leur correspondance formelle et devant lesquelles on a envie de s’attarder davantage.

Deux de ces « espaces de décélération » comme les appelle le commissaire Markus Brüderlin sont d’une grande réussite. Quelle trouvaille de rassembler quelques natures mortes de Giorgio Morandi des années 40 et 50 et des études des Homage to the Square de Josef Albers dans une même petite salle d’exposition aux murs foncées et à l’éclairage sélectif. Un autre moment fort de tentative de décélération à laquelle nous sommes invités tout au long de cette exposition est la petite salle où dialoguent le petit tableau Genfer See mit den Savoyer Alpen de 1907 de Ferdinand Hodler et le Untitled (Pink, Brown, Orange) de 1958 de Mark Rothko.

La magie du recueillement de plus en plus rare dans la plupart des expositions d’art trouve ici une place de prédilection. Encore faut-il que le spectateur prenne son temps pour qu’elle s’opère. Pour cela il doit freiner son emportement par le tourbillon de l’accélération qui dans cette exposition n’est pas absente mais y figure comme moteur des avant-gardes et de certaines positions post-modernes.

A la fois chronologique et thématique l’exposition est subdivisée en quatre parties commençant avec l’art romantique en passant par l’art moderne et les avant-gardes et un espace intermédiaire appelé Bypass qui met en relation l’action painting et le slow painting en face du jardin japonais du musée, pour enfin aboutir à l’art contemporain en posant la question de la dichotomie dans la section finale entre l’apocalypse et l’utopie.

Quatorze chapitres guident le spectateur tout au long de sa visite en lui rappelant que l’histoire de l’art des deux derniers siècles peut être réinterprétée sous cet angle dialectique qui met sur le même plan le mouvement et le repos sans en privilégiant une des tendances.

Dans ce parcours d’exposition qui semble fortement didactique le spectateur est pris dans une dualité d’interprétation qui vacille entre émotion et contemplation. Les exemples comme les gribouillages de Twombly et les champs de couleurs de Rothko expriment cette opposition du processus de production comme de l’accueil en juxtaposant une espèce d’écriture et de lecture automatiques à la pose et la réception méditatives.

La partie sur l’art et les nouveaux médias du chapitre 10 avec Tv-Buddha, une espèce de distanciation autoréférentielle en temps réel et Brandenburger Tor, une installation monumentale de 212 téléviseurs de Nam June Paik ainsi que Marching Man de Bruce Nauman, une sculpture anthropomorphe en néon, constitue un moment fort de l’exposition alors que son complément sur la sexualisation des médias avec Clemente et Araki est plus difficilement accessible.

Dans leur objectivité faussement esthétisante les « arrêts sur image » dans les photographies monumentales de Gursky et de Ruff s’insèrent dans les représentations critiques de la communication de la massification à l’ère d’Internet. Les mutations sociétales comme conséquence d’une globalisation incontrôlée forment le corpus artistique d’artistes comme Wei Wei qui avec son Bowl of Pearls pointe métaphoriquement les dangers de la démocratie au sein du capitalisme.

Placée de façon quelque peu décalée par rapport aux autres œuvres dans le musée la vidéo Jennifer Walking de Julian Opie devient cependant comme une sorte de leitmotiv de l’exposition qui nous accompagne dans notre propre marche lors de cette visite fascinante qui révèle tous les paradoxes de la mobilité entre réalité et virtualité.

Ainsi l’exposition renvoie aussi à l’expérience esthétique du visiteur en créant constamment des liens, des affinités et des correspondances entre les œuvres et en faisant dialoguer des positions artistiques pertinentes qui illustrent idéalement le thème mais qui invitent aussi par leur qualité artistique à une démarche de « slow looking » et ainsi à une confrontation individuelle remarquable.