L’art domestique de Michèle Cires Brigand se souvient de Châteauroux

Michèle Cires Brigand s’est fait connaitre en assumant divers travaux de dame comme on le disait dans les années cinquante où elle est née à Châteauroux. Après ses études à l’école d’art de Limoges elle s’est installée à Paris où elle vit et mène sa création .Invitée à intervenir au Musée de sa ville natale , elle mène en oeuvres un travail de mémoire à la Pérec qui lui permet aussi de revisiter l’ensemble de sa production artistique mettant en perspective une muséographie datée.

Il y a déjà longtemps que je côtoie cette oeuvre singulière et discrète, j’y ai apprécié la façon de scénariser la maison et les sites d’enfance. J’y ai vu un avatar de cet art domestique que Richard Conte a mis en lumière avec plusieurs expositions, un colloque et une publication aux Editions de la Sorbonne. Dans la présentation de l’ouvrage l’universitaire revendiquait pour ces oeuvres soit la recherche d’un « vivre en commun soit une conscience critique du quotidien ». Dans La desserte rouge en 2011 Cirès Brigand s’attachait plutôt à la première solution. Elle utilisait pour ce faire
dessins, estampes, ex-voto, collages et photos. Toutes sortes de petites formes qu’elle arrange en autant d’agencements qui donnent sens à ce partage vital.

Le champ lexical de sa titraille personnelle relève souvent de la couture, on peut y lire l’héritage paternel du père tailleur. Ainsi dans les oeuvres sur papier l’on trouve un Dressing . Mais cela se manifeste surtout dans les intitulés de ses séries photographiques Les Pénélopes , le Tailleur, La petite main de la rue des Pyrénées.

En répondant à la commande des autorités municipales de Chateauroux avant la modernisation du Musée installé dans l’Hôtel Bertrand depuis 1921, année de la célébration de la mort de Napoléon, elle forge autour de son oeuvre son approche critique du quotidien muséifié. A l’Empereur officiellement statufié comme à sa figurine stylisée répond un portrait de l’artiste dans son enfance à l’âge où elle découvrait le Musée, but d’une escapade dominicale. Coiffée d’un élégant béret elle sourit à l’objectif de l’appareil familial.

En couverture du catalogue la célèbre statuette de Louis Ernest Barrias datant de 1899 , La nature se dévoilant devant la science apparait très significative par ses matières diverses de la sculpture du XIXe siècle : s’y mêlent bronze, marbre et lapis lazuli. Elle tient à la main les découpes de Patrons de couture colorés que l’artiste invitée a produit comme stéréotypes corporels.

Chaque pièce du Musée est l’occasion d’amorcer un dialogue avec une de ses séries. La volière de Sainte Hélène entre en interférence avec l’envol mural coloré des Encres sur papier chiffon découpé de 2017. La visite se poursuit sous l’augure d’un personnage historique de grand panache Vivant Denon. Pour lui rendre hommage 14 Reliquaires s’inspirent des épisodes de sa vie aventureuse. Ils regroupent images, dessins, textes pour évoquer le dessinateur, graveur, homme de lettres connu comme libertin mais aussi en tant que collectionneur, voyageur et diplomate.

Dans une approche plus sociologique la rencontre avec La momie copte entraîne l’artiste sur une interrogation quant à la civilisation copte vécue par trois témoins actuels qui mettent en perspective l’histoire et ses débouchés religieux. Pour revisiter l’histoire naturelle à l’aune de cette interrogation, ce sont 13 Tuniques coptes de petite dimension qui collaborent visuellement avec des Tessons archéologiques faits de terre cuite et encre et des Ex-votos reconstitués en techniques mixtes.

C’est ensuite la chorale de son enfance qui est convoquée avec des paysages de Colza et des Jupes d’époque tirées des archives. L’étage est habité par la présence de Georges Perec à travers un polyptyque photographique qui remet en scène L’homme qui dort. Un autre univers littéraire de l’intime résulte de la résidence effectuée à la Maison Nationale des Artistes de Nogent sur Marne où elle a engagé des conversations avec les résidents illustrées de photographies à partir d’extraits d’A la recherche du temps perdu de Proust.

Sous l’autorité créatrice de ces personnalités peuvent s’afficher l’ensemble des créations réalisées dans différentes techniques, sous forme d’une mini-rétrospective de collages, photos et dessins produits de 1997 à 2015. Pour rejouer l’histoire locale 8 installations d’images racontent les Maisons où l’artiste a grandi. Oeuvres et domiciles nous conduisent logiquement à l’Atelier ce qui nous permet de retrouver la fameuse série des Patrons confrontée à des boîtes où sont installées Les refusés. La visite se termine avec de courtes projection diaporama ou vidéo, pour montrer la profusion de techniques pratiquées.

Pour clore ce catalogue le texte critique de Stéphanie Katz, joliment intitulé, Bâtir le vêtement de mémoire s’ouvre sur une imposante paire de ciseaux à tissus et s’achève sur des papiers préparatoires d’un vêtement barrés d’un mètre de couturière. Tandis qu’un fragment de tableau anonyme du XVIII ème siècle s’énonce comme une Allégorie du travailen se focalisant sur une jeune cousette aristocratique.

Nous avons tous dans nos mémoires un musée de province, ou un musée d’enfance où s’est forgé même à l’insu de notre pleine conscience, notre plaisir ou notre désir d’oeuvre, c’est ce passage D’une mémoire à l’autre que Michèle Cirès Brigand met en lumière, en détournant l’aspect vieillot d’une muséographie au service d’une oeuvre tout à fait actuelle.