L’audace en art

Poursuivant sa politique d’éditions des actes de colloques organisés par le CEREAP (Centre d’Etudes et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques), Dominique Berthet, philosophe de l’art et directeur de ce centre de recherches, publie dans la collection « Les Arts d’ailleurs », les fruits des paroles qui se sont croisées autour de l’audace en art, en décembre 2002 en Guadeloupe.

S’y répondent des communications offrant au lecteur des angles d’attaque différentes, prenant appui sur l’histoire de l’art et notamment sur les mouvements d’avant-garde du début du XX° ou choisissant l’œuvre de tel artiste éclairant ainsi cette notion toute relative qu’est l’audace en art, quant aux formes, aux lieux et à l’époque où elle se manifeste. Reste à voir si aujourd’hui elle a encore quelque chance d’être subversive ou si elle n’est plus qu’un Don Quichotte contemporain. C’est à cette dernière question que se confrontent les plus intéressantes contributions de cet ouvrage donnant la parole tant aux artistes qu’aux universitaires.

En ouverture Dominique Berthet pose le débat à partir de l’analyse historique de l’audace en art, rappelant sa relation avec les dites révolutions artistiques des deux siècles derniers et ouvrant à la réflexion à partir de la pensée de Rainer Rochlitz sur l’impossible subversion de l’art aujourd’hui. Giovanni Joppolo choisit lui de s’intéresser au mouvement futuriste à l’aube de la modernité et à ces trois représentants majeurs ( Marinetti, De Chirico, Severini) pour y déceler « trois paradigmes de l’audace, trois intensités d’audaces contradictoires » qui pourraient se lire en tant que gestes : celui de la rupture, celui à l’opposé de la contre-rupture et celui de l’effort dans la rupture même. Cette parenté esthétique entre l’audace et la rupture, Hervé Pierre Lambert la retrouvera dans l’histoire du mouvement mexicain Ruptura (1952-1965) et nous permettra de réfléchir sur les propos de l’un de ses penseurs proche de Duchamp, Octavio Paz, pour qui dès le début des années 60, la rébellion semblait déjà avoir disparu par le fait même qu’il n’y avait plus d’espace « off » ou underground où faire entendre sa différence. A moins que l’audace en art trouve son regain dans la greffe d’un champ disciplinaire qui jusque-là lui était étranger. C’est ce que propose Frank Popper, chercheur et théoricien reconnu de l’entrée de la technologie dans la création mais aussi dans l’enseignement universitaire des arts.

Mais c’est peut-être dans l’engagement d’un artiste, quelque soit son champ d’action, qu’il faut reconnaître la première occurrence de l’audace. L’architecte Paul Chemetov en serait une figure exemplaire au vu de la contribution que lui accorde Hugues Henri, tant la possibilité même de l’architecture met en relation les instances du pouvoir, les dernières recherches industrielles mais aussi environnementales et donc scientifiques. Toutefois, cette trilogie inter-disciplinaire n’est pas toujours nécessaire lorsque l’on s’autorise à découvrir les productions littéraires (Pedro Juan Gutiérrez par Jean-Louis Joachin) ou musicales (James Carter par Alain Joséphine) d’artistes de la Caraïbe où l’audace est avant tout lutte et résistance, mais aussi curiosité de l’inconnu comme nous le rappelle aussi Fabienne Pourtein dans sa dialectique autour de la créolisation, la culture et la politique. Et c’est d’ailleurs dans ces découvertes et ses ouvertures que cet ouvrage prouve son audace quand d’autres voient dans la citation une pratique esthétique de l’audace ou revisitent l’art des années 68 au détour de personnages emblématiques qui rappellent que l’audace est peut-être davantage une question de personne que de critères artistiques. Gageons alors que L’audace en art, verra un tome 2 continuant l’exploration de ces relations entre la France et les Antilles, à partir de ce que Rochlitz justement constatait mais qui pourrait peut-être trouver là des marques de démentis sans nécessairement qu’elles prennent la forme d’utopies.