Dans une approche transdisciplinaire et ouverte cette exposition mêle travaux artistiques et recherche scientifique. La disposition générale des installations et modules pratiques permet à chaque visiteur de déambuler à sa convenance d’une expérience actuelle à l’autre. On a rarement vu la collégiale Saint Pierre le Puellier aussi bien occupée dans tous ses espaces y compris dans la hauteur de sa nef occupée par des suspensions et des projections.
Ce n’est pas un hasard si les commissaires de l’exposition évoquent en ouverture Joseph Beuys à propos de la créativité « dans tous les domaines du travail humain » et rappellent la fameuse citation de Robert Filliou : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » Leur propos s’attache aussi bien à des préoccupations écologiques avec le projet collaboratif des jardins hors-sol en modules gérés pour LaPerCo, qu’à des recherches technologiques sur des synthétiseurs modulaires artisanaux comme à d’autres pratiques amateurs et actions collectives. La question de l’intertextualité est approchée de façon hybride par Catherine Lenoble à propos des publications d’avant-garde d’Anna Kavan (1901-1968).La musique n’est pas oubliée avec l’installation sonore Audioneural network de Thomas Bigot. L’espace central de la Collégiale est occupé par des structures faites pour accueillir des workshops , afin que ces formes participatives développent d’autres liens entre l’art, les sciences et la vie.
S’intéressant à toutes sorts de modèles de mise en réseaux dans nos quotidiens, les commissaires auraient aussi bien pu se référer à Deleuze et Guattary dans 1000 Plateaux. On se souvient que les deux philosophes suggéraient le passage de l’ordre ancien de l’arborescence à celui plus contemporain du rhizome. Dans l’exposition les sources historiques sont confiées aux gravures de l’Espagnol Santiago Ramón y Cajal (1852-1934)
professeur d’anatomie et neuroscientifique dont les recherches sur le système nerveux sont ici illustrées par ses gravures sur les arborescences neuronales.
Ces vieilles gravures dialoguent avec les mixtes et installations de Ségolène Garnier autour du végétal. Proche de l’imagerie numérique, ses dessins à la plume tracent de fins maillages formant des figures animales, végétales ou anthropologiques. Toutes ces propositions plastiques ou para-scientifiques sont réunies sur le modèle du cabinet de curiosité. Apparus à la Renaissance en Europe ils ont constitué des approches scientifiques du monde qui a évolué vers la création des musées. La manière dont ils mêlent le naturel, l’artificiel et l’exotique en font des haut lieux du baroque.
Un aspect plus politique de ces réseaux est abordé par L’Atlas Critique d’Internet de Louise Drulhe, complété par sa vidéo BLOCKCHAIN, montrant à l’œuvre une architecture du contrôle. Le collectif Bureau d’Études actif depuis le début des années 2000 intervient entre graphisme et enquête journalistique. Ils analysent et rendent compte des questions d’actualité dépendant de la géopolitique, l’économie, l’écologie ou la communication. Leurs Cartographies du présent constituent des outils d’interprétation de nos sociétés 2.0.
L’un des temps les plus forts de cette exposition est le projet de fiction documentaire La maison tentaculaire d’Oliver Morvan. Il s’agit d’un hommage à Sarah Winchester, héritière du fabriquant d’armes, qui sur l’actuel site de la Silicone Valley, à à partir de 1884 et pendant 40 ans, a consacré une fortune à l’édification d’une maison destinée à accueillir les fantômes de tous les morts dont elle jugeait sa famille responsable. Ce labyrinthe peuplé d’âmes errantes apparaît comme une métaphore du réseau mondial peuplé d’avatars.
La grande liberté de cette exposition est de rester évolutive, mettant en synergie avec une grande rigueur diverses approches artistiques et technologiques des réseaux dans un nouvelle esthétique du baroque contemporain. Sa dynamique performative suppose que le public ne vienne pas seulement consommer de la culture mais aussi en produire, par des ateliers et des échanges.