« Une image doit rendre le réel problématique » Georges Didi-Hubermann
De part et d’autre du long espace à l’éclairage zénithal de la galerie Lucy Mackintosh deux œuvres interpellent le spectateur. Toutes deux sont référentielles par rapport à l’histoire de la Peinture. Si la photo du fond appelle avec une certaine évidence Boticelli et la naissance de Vénus, la source historique de celle de l’entrée semble moins évidente. De ce fait son iconographie prime, quatre jeunes gens contemplent une photographie de type famille.
Ces quatre jeunes qui font cercle autour d’une preuve renvoient à la structure du tableau dit de « L’incrédulité de Saint Thomas » de Caravaggio ». Là où l’on met le doigt aujourd’hui ce n’est plus dans la plaie du Christ mais dans l’image où se blesse le monde, d’où le titre de l’exposition « What we talk » , mention manuscrite au verso d’un tirage amateur « ID Photo Paper LLHW EU » .
Les grands tirages couleurs qui permettent de passer d’une scène historique à l’autre sont issus de synthèses de temps et de lumière de divers moments qui jouent le destin des images aujourd’hui. Les valeurs s’y inversent. Dés lors Vénus ne re-naît que du cliché de son meurtre pour la Une d’un quotidien gratuit, où on la reconnaît assassinée sur quelque trottoir aux gris décoratifs.
L’artiste va chercher aussi sur internet de quoi se bricoler un panthéon de figures oubliées dans l’histoire de la violence du XX° siècle. On y retrouve Sacco sans Vanzetti, Patrice Lumumba, Guevara jeune, Salvador Allende ou Steve Bikko. Images sans qualité épinglées dans l’oubli de nos utopies, et qui n’ont plus la morgue des « most wanted » affichée grand format par Warhol sur les murs extérieurs du Moma. Juste une vocation de repères individuels pour au moins ne pas oublier ces physionomies de victimes.
De même dans une boite lumineuse une image de manifestants du G8 produite en très low key, sans aucun contraste donc, apparaît comme un des fantômes qui travaillent notre époque, sans que nous en ayons le véritable usage, dans l’usure irrémédiable de la représentation. De vieux photomatons ne témoignent plus que du vieillissement de visages de deux femmes exclues socialement , devenues sdf. La photo reproduite sur la carte de crédit de la seconde, montre le hiatus social, tandis que son histoire s’inscrit sur une plaque de métal.
Qu’elle joue des synthèses complexes d’images redonnant une individualité à chacun des protagonistes de ses scènes quotidiennes ou qu’elle travaille au plus près des récits personnels Annaïl Lou Pitteloud affronte avec des moyens esthétiques appropriés à chaque projet le destin des images dans nos récits menacés.