S’amuser des interdits, déjouer les censures, accomplir des fantasmes, cela fait plus de vingt cinq ans que la femme « espiègle » qu’est Sophie Calle a su trouver l’équivalence entre « dire et faire » et a réussi cette étonnante performance « alchimique » dont chacun rêve mais que peu d’entre nous, atteignent : faire de sa vie un roman.
Car l’art de Sophie Calle est un art troublant réalisé de petites phrases « No sex last night », « don’t leave me », d’histoires encore et encore, de petites fables de sa vie intime, de photos aussi. Toujours les mêmes photos d’une femme brune, dedans, dehors, dans son lit, avec une perruque ou toute nue, bref dans toutes les situations que le globe lui a permis d’expérimenter.
Au hasard de sa vie, elle nous « livre » donc ses expériences, ses émotions personnelles, ses rencontres, sa vérité, dans ses « Histoires vraies » : une sorte de « musée personnel » dans lequel, à partir de textes et d’images, Sophie Calle nous présente avec tant d’ironie sérieuse, quelques évènements marquants de sa vie : sa relation avec Greg Shepard, mari le temps d’un film, une lettre d’amour commandée à un écrivain public , le peignoir de son premier amant, des extraits du Strip-tease (1989), un portrait d’elle lacérée au rasoir, La lame de rasoir (1984), une robe de mariée … Bref, des histoires de sa vie, tounées en dérisions, que la galerie Emmanuel Perrotin a choisi de présenter dans sa galerie de Miami : «
True stories
» du 6 septembre au 25 novembre 2006.
Une fois encore, le spectateur pourra se perdre dans « le monde de Sophie » qui intrigue et qui fascine à la fois, qui nous entraîne dans ses spirales perverses, ses subtilités fatidiques, ses sournoiseries, et qui nous amène toujours à la même interrogation : mais qui est vraiment Sophie Calle ? Car en réalité, nous ne savons pas trop et chacun projette ce qu’il a envie de projeter devant son personnage énigmatique.
En réalité, dans son travail, Sophie Calle s’interroge, poursuit son enquête, analyse. Mais quoi au juste « Qu’est-ce qui pousse cette femme a réalisé tant de choses « effrayantes », toujours attirée par le jeu de la vérité » Comme rencontrer un homme un soir à paris et le suivre durant quinze jours, dans les ruelles de Venise afin de retracer ses habitudes (
Suite Vénitienne
, 1983) engager un inconnu pour qu’il fasse d’elle, sans le savoir, un autoportrait (
L’ombre
,1981) s’improviser strip-teaseuse, inventer le faux mariage de sa vie avec riz, voile et dragées (
No sex last night
, 1992), remonter le fil de la vie des autres à partir d’une cravate, d’un carnet retrouvé, de lits défait (
L’hôtel
, 1981), créer la fuite anticipée de l’homme qui partage avec vous l’absurdité de l’existence.
Au gré de ses émotions, Sophie Calle nous présente donc une oeuvre entière, émouvante, étrange, obsessionnelle, triste ou décalée. En ritualisant sa vie à l’extrême, elle veut peut-être trouver une raison d’être, ou bien exorciser ses peurs, ou veut-elle mettre en scène son existence, par lubie et par jeu tout simplement ?
Evidemment, la mise en scène de ce jeu subtil qu’elle exécute envers sa vie et celle d’autrui, l’amuse beaucoup, mais l’art est avant pour elle un moyen de protection, envers la triste réalité de la vie. « Je tente de trouver des solutions pour moi-même, c’est ma thérapie personnelle. Le fait que ce soit de l’art me protège. L’art me donne le droit de faire ces choses. »
Tous les moyens sont bons chez Sophie Calle pour « retenir la vie », elle a pris l’initiative « d’enchanter dans un monde désenchanté ». Tout l’intéresse, tout l’enchante et rien ne l’empêche. Même ses chagrins, ses hantises, ses déboires, ses fiascos : tout est matière à œuvrer. Pourquoi ne pas échapper à ce monde qui nous entoure, à son ennui, ses désespoirs en appréhendant la réalité avec tant de perversion « endiablée » ?
Sophie Calle a bien saisi cela, et la séductrice qu’elle est a su nous prendre dans les « filets enchantés, romanesques », de ses petites
Histoires vraies
: un travail unique où on est captivé par cette formidable vacuité, cette « volupté » intellectuelle qui la pousse à se mettre à distance d’elle-même, à mobiliser toute son énergie pour manipuler et infléchir « la petite musique » du hasard et de la réalité de la vie.