À l’occasion de l’exposition « Ralf Marsault – Berlin Years on the Wagenburg », présentée jusqu’au 24 janvier 2021 au FHXB Museum de Berlin dans le cadre du Mois Européen de la Photographie, EMOP 2020, les éditions Distanz Verlag Berlin publient « faintly falling » troisième ouvrage du photographe. Il poursuit sa quête ethnologique de ces personnalités marginales qu’il a découvertes, et avec lesquels il a fini par vivre durant une dizaine d’années, sur ces campements que l’on appelle Wagenburgen. Une préface de l’historienne et critique d’art Elisabeth Lebovici enrichit cette publication avec un entretien et des textes en allemand, anglais et français.
Ralph Marsault est né en 1957 à Angers il est diplômé d’ethnologie.Il s’est fait connaitre grâce à la publication d’un livre Fin de siècle, réunissant des portraits réalisés avec Heino Muller. Après la disparition de celui-ci en 1995, il prolonge le travail photographique initié sur la communauté de marginaux des Wagenburgen de Berlin. Grâce à cette recherche il obtient un doctorat d’anthropologie visuelle en Janvier 2007 à l’université Paris VII. Sa thèse, Résistance à l’effacement, est publiée en 2010 aux Presses du réel à Dijon. Cette première partie de son oeuvre réalisée en noir et banc répond à une esthétique documentaire frontale héritée d’une certaine tradition humaniste. Les Wagenburgen, ces campements alternatifs des quartiers berlinois du Kreuzberg/Friedrischain accueillent depuis la chute du Mur les errances, les aspirations et rites communautaires quotidiens de la communauté punk allemande. Les portraits en pied réalisés à hauteur d’oeil constituent un classique de la photo anthropologique. S’ils peuvent avoir un aspect de fichage policier, les liens à long terme installés par le photographe face à ses modèles en éliminent tous risques.
Dans le livre Faintly Falling on retrouve en noir et blanc quelques prises de vues de ce type, dont la frontalité se veut totalement objective. Heureusement la photographe a senti les limites de cette forme de monstration pour se consacrer à des approches plus diversifiées de ses modèles. Des portraits de trois quarts profil et même de dos révèlent une grande intimité ainsi que des plans plus rapprochés qui fragmentent des attitudes de la vie quotidienne , sans que punks soient en représentation agressive de leur différence, avec la démonstration d’armes notamment. Des portraits toujours frontaux mais au cadre plus serré apportent aussi leur variation pour rendre la communauté plus sensible à notre attention. En couverture de l’ouvrage un portrait couleurs insiste sur le caractère artisanal et naturel du vêtement, tandis que le mouvement du modèle nous incite à ouvrir le livre.
L’ensemble des reproductions est introduit par le titre général d’Atlas of Images, ce qui correspond à trois types d’esthétiques, à côtés des figures humaines portraiturées en noir et blanc on trouve dans les mêmes tonalités certaines mises en espace de reproductions partiellement détruites et intégrées à des matières prises sur place. Un troisième corpus d’oeuvres en couleurs très vives regroupent essentiellement des natures mortes scénographiées à partir d’éléments naturels auxquels s’ajoutent quelques portraits et scène de vie . Constituées comme autant de vanités ou d’autels consacrés aux dieux lares de la punkitude elles scénarisent des éléments boisés ou floraux trouvés sur place , se détachant sur fond noir ou explosant sur un arrière plan hautement coloré.
Comme dans la peinture maniériste on assiste à une exagération délibérée des mouvements de personnages qui ne veulent plus rien avoir de « naturel », exacerbant leur rôle de marginaux. Dans les natures mortes le photographe a recours à des coloris très crus qui accentuent le caractère de cérémonie intime dans ces territoires-refuges sacralisés. Elisabeth Lebovici titre ainsi sur les Fleurs de peau. Dans l’entre deux la méthodologie d’anthropologie visuelle de Ralph Marault construit une fiction du réel qui nous oblige à réévaluer chaque portrait à l’aune d’une de ces vanités colorées.