Au moment où la censure sur les humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon de France Inter et le rachat du quotidien « Le Monde » représentent une nouvelle menace sur la liberté d’expression il ne fallait pas passer à côté de l’exposition personnelle d’Elvire Bonduelle, ce mois-ci, à la galerie Intuiti. Pas beaucoup plus longue que la durée de vie d’un quotidien, cette courte exposition était l’occasion de redécouvrir les trouvailles de la jeune artiste. On avait déjà pu voir les prémices de ses recherches dans l’exposition Graouw ! (toujours chez Intuiti) en février dernier
Elle y présentait deux unes du journal Le Monde, mais truquées, découpées, recomposées, remixées : l’une optimiste, l’autre pessimiste. D’un côté, avancées technologiques, victoires sportives et autres fêtes populaires, de l’autre crise des banlieues, désastres économiques, narcotrafic, etc. La une négative ressemblant peut-être trop à une couverture habituelle du quotidien, Elvire Bonduelle a choisi de se concentrer sur des nouvelles positives et gaies telles qu’on peut en trouver dans le journal, autant dire pas beaucoup. Petits faits sans grande importance, légères avancées, poignées de main de dirigeants dont les pays se font la guerre, prévisions économiques se voulant rassurantes, toutes ont été réunies dans un numéro spécial, Le meilleur Monde, tiré à mille exemplaires.
Pour dénicher ces articles, il aura fallu pas moins de trois mois et demi à la jeune artiste pour pouvoir recomposer un numéro de quinze pages. Mais, comme son titre l’indique, un meilleur des mondes à la Huxley où ne se dérouleraient que des faits encourageants serait un monde verrouillé. Et la lecture de cet étrange numéro de l’hebdomadaire bien connu nous donne l’impression qu’on nous cache quelque chose, comme si les ciseaux de Bonduelle s’étaient transformés en ceux d’Anastasie. Plus aucun dessin de presse, ni de publicité. Les courbes du chômage, de la bourse se sont évaporées. Des cadres blancs, semblables à ceux avec lesquels on masque les petits graffitis politiques sur les réclames du métro, les ont remplacés. Un petit bémol se cache vers la fin du journal : le sudoku reste difficile, la solution du n° 7 en vertical des mots croisés est bien le substantif « pétasse », il y a toujours du crachin en Auvergne, un ciel couvert à Edimbourg, des averses éparses à Bangkok, et une dépression menace le sud de la Suède. La dernière page est encore plus effrayante : rien ne subsiste du célèbre carnet du Monde, dont le titre en haut de page, Disparitions, nous attend au pire. Ni décès, bien sûr, dans ce meilleur des mondes, mais ni naissances, ni mariages, ni soutenances de thèse, promotions d’étudiants ou sorties d’ouvrages. Rien qu’une page vierge de texte où des bandes blanches se superposent les unes les autres.
Doux-amer, alors, le Monde rose d’Elvire Bonduelle, dont le camaïeu pastel s’étend sur l’un des murs de la petite galerie. Mais peut-être vaut-il mieux se laisser bercer par des illusions d’accord de paix, de reprise de la croissance, des progressions scientifiques, dans un Monde léger vis-à-vis duquel nous ne pouvons pas être naïf.