Après « Arte Botanica » en 2019 et l’année blanche du COVID le château médiéval de la Roche Jagu dans les Côtes d’Armor accueille tout l’été une douzaine d’artistes résidant en Bretagne à créer autour de la question de la « Métamorphose ». Nolwenn Herry, la commissaire, a choisi des représentants de pratiques et de supports différents, peinture, sculpture, photographie, dessin, collages, installation. Les liens exaltés avec la nature produisent toutes sortes de formes qui montrent leur richesse mais aussi l’évolution humaine à leur écoute.
« La métamorphose est à la fois la force qui permet tout vivant de s’étaler simultanément et successivement sur plusieurs formes et le souffle qui permet aux formes de se relier entre elles, de passer l’une dan l’autre. »
Emanuelle Coccia
Dans le parc du château on découvre les Balis.es en verre phosphorescent du duo des Concasseurs qui procèdent à des relevés météorologiques de matières. Dans le verger Corinne Cuenot qui expose aussi en solo au cloître de Tréguier accroche sa sculpture La forme de l’eau, ouvrant une visée tramée dans le paysage. Le duo Sophie Prestigiano & Régis Poisson formés à l’ENSBA de Paris, installent près de la cale au bord du Trieux une suite de cocons reliés entre eux d’où le titre Transition qui semblent sortis de la rivière, entre le naturel et le biologique.
Si les peintures de Matthieu Dorval peuvent apparaitre assez traditionnelles bien que jouant des effets paysagers d’échelle entre micro et macro représentations, elles trouvent toute leur puissance quand elles sont réalisées sur support transparent. Rétro-éclairées et organisées en diptyques elles jouent de l’illusion avec un aquarium, pour donner un espace de communication à ce que l’artiste évoque comme d’actuels « officiers célestes ».
Ces oeuvres semblent dialoguer avec les Nori métalliques de Guillaume Castel . Les deux grands pétales d’aluminium reflètent le visiteur dans l’étroit chemin de ronde. Dans une cellule plus étroite encore le Fucus en inox martelé suspendu dans l’espace projette la tarentelle de ses ombres.
Deux artistes explorent des pratiques différentes mais complémentaires. Fabienne Houzé-Ricard utilise acrylique et dessin pour organiser ses impressionnants Nids-Racines établissant une autre forme de relation entre la terre et le ciel. Pour sa série On dirait qu’on jouerait aux frontières on retrouve les oiseaux sous forme de chromos découpés, réunis en tas ou répartis en vol se déployant sur un fond tramé en mailles fines à l’encre Chine, dont les espaces cartographiés sont cernés à la feuille d’or.
Sylvain Le Corre documente photographiquement ses dessins aquarelle et graphite de la série très réaliste des Echardes. Empruntant son titre à un film de Jodorowsky The Holy Mountain , est une double installation de céramiques d’un gris sombre occupant le sol d’une petite salle d’étude pour évoquer l’Ossuaire de Saint Stephen.
Une approche très singulière est celle de Brigit Ber qui utilise l’image, avec la technique primitive du cyanotype, ses variantes sérigraphiées entrent en dialogue avec une vidéo très dynamique. Ses images bleues installées en petit format dans un cabinet latéral ou se développant en larges diptyque et triptyque dans la salle principale construisent un même imaginaire jouant avec le fantastique.
L’oeuvre la plus convaincante, celle de Cécile Borne, occupe magistralement la grande salle des combles. Dans une première tourelle ses Dentelles de mer nous font découvrir le matériau préféré de l’artiste le tissu oeuvre de la mer. En collectionneuse attentive elle récupère les fragments d’étoffes échoués sur les rivages. Par sa double activité de chorégraphe et de plasticienne elle investit ces reliques en tant que traces mémorielles de divers corps. L’installation Disparition faite de bustes en plâtre moulés sur des anonymes et recouverts de ces tissus hérités de la mer, constituent autant d’hommages aux migrants disparus lors d’une de ces tragiques traversées qui ne fait plus la moindre Une.
De la vague elle sort aussi les multiples détritus plastiques qui , quand ils s’accumulent pour la Bestia Noire, deviennent ces indigènes du 7eme continent, monstrueusement inquiétants quant à notre avenir écologique. D’autres vêtements des travailleurs de la mer se font sculptures de corps disparus. Au centre de l’espace un grand Ciré jaune installé sur un trébuchet semble hésiter entre l’épouvantail marin et un christ dépouillé de toute chair.
Les liens que cette artiste entretient à la danse comme aux vêtements ruinés prouvent qu’une métamorphose ne reste pas toujours formelle quand elle trouve à s’incarner dans le destin humain.