Toujours à quêter des signes positifs dans le domaine bien menacé des arts contemporains l’ouverture d’un nouveau lieu parisien consacré aux pratiques documentaires exercées par des artistes ou des photo-reporters ne peut que nous réjouir. Le Bal inaugure ses murs près de la place Clichy avec une exposition sur les Etats Unis et ses « Anonymes ».
Plus encore que sans nom, sort partagé de l’homme de la rue, ces gens sont sans histoire, ou plutôt se trouvent confinés dans les marges de cette Histoire, sociale, médiatique, politique. Si le concept de classe n’était pas devenu si tabou il siérait à évoquer leur situation. Encore faudrait-il qu’on puisse en développer la conception puisque les populations approchées regroupent homeless,émigrés, pauvres traditionnels, employés du tertiaire et petits cadres. Rien dans cette diversité qui permette de faire communauté, rien non plus d’intérêts à partager.
Même si les œuvres s’étagent dans leur production entre le début des années 70 et aujourd’hui, on peut retrouver dans cet échantillonnage une partie de l’électorat d’Obama ou du moins la partie de la population qui s’est réjouie de ce changement de politique. Ce qui tendrait à prouver encore une fois que les artistes au sens large restent précurseurs face aux dirigeants. Comment donc faire émerger ces gens hors de l’anonymat partagé au cœur des grandes cités ? Comment leur redonner figure urbaine ?
Ce furent longtemps les préoccupations de l’Ecole de la Rue et de celle de New York. Tous viennent après, qu’ils appartiennent comme Lewis Balz à ce courant des « nouveaux topographes » ou comme le plus célèbre d’entre eux, Jeff Wall , à l’école de Vancouver. Deux œuvres format-tableau de ce dernier montrent les bornes de cette quête de sens ou de place économique à trouver. « Les hommes en attente » sont frères de tous ceux abordés ici, qu’ils espèrent un travail , un domicile ou un statut social. « Les enquêteurs » représentent eux tous les créateurs ici réunis. Leur quête documentaire peut passer par les moyens traditionnels de l’essai photographique adapté à un sous-groupe. Elle prend en compte aussi les autres moyens mécaniques de faire image plus contemporaines comme les repérages systématiques de Google Image.
Sharon Lockart autre plasticien concerné par cette quête produit une vidéo étrangement lente durant la pause quotidienne du déjeuner d’un pool d’ouvriers. Entre photo et image animée, la pauvreté des gestes et des attitudes nous parle d’une économie de la fatigue.
La plus intéressante des propositions , celle de Lucianna Arcana et Luca Santese , utilise les pratiques dites vernaculaires, en classant et en encadrant des photos de simple police abîmées par le temps et les intempéries. Leur usage se voit périmé après avoir servi d’archives à de petites catastrophes personnelles dont la gravité ne fait pas plus que les pages intérieures de la presse locale. Accidents de la misère et de la déshérence. Détachées de leur devoir de preuve elles se parent d’une aura fictionnelle qui leur confère un pouvoir tragique.
Dans ce domaine intermédiaire des fictions documentaires Le Bal se veut aussi une vocation éditoriale . les deux premiers ouvrages sont ceux d’Eric Baudelaire et de Marie Sommer, encore étudiante à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles qui a gagné l’an dernier le prix SFR jeunes talents pour son approche de ce non-lieu berlinois qu’est la montagne artificielle du « Teufelsberg ».