Le paysage enfin repensé dans des pratiques complexes

Le paysage en photographie a toujours pour moi moins d’attraits que sa version in situ. Le mois Européen de la Photo au Luxembourg s’attache à des pratiques qui prétendent repenser le paysage et la nature. Dans les multiples propositions internationales mises en oeuvre par Paul di Felice et Pierre Stiwer responsables d’EMOP 21 les plus expérimentales réussissent le double pari exprimé par le titre général de la manifestation « Rethinking Landscape/Rethinking Nature ».

Si des propositions purement photographiques représentent l’état des pratiques actuelles comme le prouve le slide show qui reprend le titre sur la nature à partir des propositions communes en collaboration avec Foto Wien et Imago Lisboa la forme traditionnelle de la projection fait trop confiance à la force de l’image unique sans évoquer le processus d’élaboration d’une oeuvre. A l’abbaye de Neimënster Lisa Kohl relie le paysage au politique avec Land(e)scape dans un commissariat de Danielle Igniti. L’objet abandonné révèle dans l’île de Lesbos le flux des migrants arrivés deTurquie. On retrouvera l’artiste avec un autre ensemble pour les Rencontres dans le cadre de Lëtz’Arles avec aussi d’autres oeuvres de Daniel Reuter présent ici à la galerie Nosbaum Reding, avec une série lyrique mais trop classique dans son esthétique noir et blanc.

Au Parc Demerl la nature est repensée par Cristina Dias de Magalhaes : dans ses diptyques des animaux empaillés font face à ses jumelles dans les aspects les plus ludiques de leur quotidien. Instincts, same but different présentée sur des panneaux en plein air en contraste avec ce contexte urbain a la force poétique d’une réflexion sur le sens de la vie. Les Contes sauvages de Marine Lanier jouent aussi du rapport corporel et lyrique au paysage. Présentées par Laurence Lochu de l’Institut français ces différentes séries mêlent des paysages saturés à des corps furtifs.

L’un des fidèles partenaires de la manifestation Arendt&Art exposent cinq lauréats pour leur Award 2021. Cette année est aussi celle de Les cadrages serrés de Vanja Bucam qui fait la couverture du catalogue mêlent tissus imprimés, éléments naturels haut en couleurs et fragments corporels qui les restructurent. Les paysages nocturnes en feux du russe Danila Tkachenko évoquent un fait historique l’abandon forcé de villages ruraux à partir de 1928 au temps du communisme triomphant. Les gagnants du prix sont Inka & Niklas venant de Finlande et de Suède ils travaillent ensemble, leur série la plus significative s’intitule Family portrait parce qu’ils posent en couple ou avec leurs enfants portant costume reflétant qui les fait disparaitre dans l’immensité des paysages du Nord révélant les diverses menaces écologiques sur l’humain.

On retrouve ces artistes au Musée d’Art et d’Histoire, leurs tirages de grand format côtoient ceux d’un autre couple Bruno Baltzer et Léonora Bisagno pour la reconstruction numérique de Sur la pointe de l’iceberg et autres séries réalisées au Canada en immersion dans le paysage ou en post-production d’une grande subtilité.

La création partagée permet à Dominique Auerbacher et Holger Trülzsch d’investir le parc de la villa Vauban avec de grands panneaux recto-verso permettant de voir simultanément des paysages fictifs produits par des vues de sols d’ateliers et des textes mis en pages sous forme de centon. Héritée de l’antiquité et reprise par les membres de l’OULIPO cette écriture poétique s’appuie sur l’échantillonnage et le collage de vers déjà publiés. Reconstruits artificiellement ces Paysages du Kairos par la double lecture qu’ils nous imposent donnent réalité à cette recréation reposant sur la fiction écrite et photographiée.

Deux expositions démontrent comment l’archive peut être scénographiée ou fictionnalisée pour accentuer ses potentialités documentaires. Au Mudam Enfin seules réunit plus de 200 images de la collection londonienne Archive of Modern Conflict datant des débuts du médium au XIX ème siècle jusqu’aux années 1970. Ont été réunis par Thimoty Prus documents scientifiques, clichés anonymes, images préparatoires de peintres et oeuvres de photographes célèbres. Dans une scénographie remarquable des images de la flore et de différentes espèces naturelles construisent un panorama qui désigne l’absence humaine comme horizon potentiel.
Anastasia Mityukova bâtit son installation à partir d’images scannées du Iceworm Project sur la base américaine abandonnée de Thulé , cela donne lieu à deux séries esthétiquement différentes mais aussi fortes l’une que l’autre. Les représentations des icebergs et autres sites glaciaires restent impossibles dans leur évolution post réchauffement climatique. En floutant ces clichés l’artiste genevoise d’origine russe ne laisse vraiment lisible que leur légende écrite, nous imposant d’imaginer la puissance paysagère du site.

Daphné Le Sergent présente au Casino Forum d’Art Contemporain une fiction documentaire photo, vidéo et dessin d’une grande prégnance Silver Memories. Dans une approche aussi forte par sa dimension esthétique que par son aspect idéologique elle questionne la chaîne de production de l’image argentique , de l’extraction minière aux fluctuations boursières. Une seconde version de cette recherche essentielle est actuellement visible au Centre Photographique d’Ille de France.

Un catalogue de grand format publié par les éditions Café Crème permet de retrouver toutes ces oeuvres singulières qui par leur complexité d’élaboration peuvent témoigner de la nature évolutive des sites naturels sous l’atteinte de nombreuses menaces écologiques , tout en tenant compte des protocoles de création les plus récents ces recherches visuelles rendent également compte d’un état de la création image aujourd’hui à l’international.