Le peuple libéré des cocons de terre de Jeanclos

L’abbaye royale de Fontevraud, reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO organise pour sa saison d’Hiver l’exposition « Elévation » consacrée à Georges Jeanclos. Conçue en collaboration avec la galerie Capazza de Nançay qui représente le sculpteur décédé en 1997, elle est mise en scène dans le cadre prestigieux de l’église abbatiale et démontre toute la force spirituelle de ces oeuvres de petits formats mais à la prégnance si forte.

L’oeuvre de Jeanclos tient sa puissance esthétique et spirituelle de sa réaction positive aux évènements de la deuxième guerre mondiale. Né Jankelowitsch il a connu les persécutions nazis destinés aux juifs. Son oncle et sa tante ont été jetés vivants dans le puits de Guérry. Il a réalisé un monument à ce sujet comprenant une stèle et deux colonnes ornées de ses habituelles figurines humaines (relire à ce sujet mon article http://www.lacritique.org/article-un-monument-de-jeanclos-pour-un-massacre-peu-connu-un-destin-francais ?var_recherche=Jeanclos%20%20Guéry%20)

Formé à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dont il deviendra ensuite enseignant, Jeanclos obtient le Grand prix de Rome en 1959, et réside pendant quatre ans à la Villa Médicis dirigée alors par Balthus. Ses figurines de terre quant à elles sont peu sexuées, peu liées à une race, ce sont des humains génériques desquels il est plus facile pour chacun de se sentir proches. On les a découverts d’abord en tant que Dormeurs, une des premières séries qui a fait sa renommée et que l’on retrouve ici au départ du parcours sur la grande table de bois aux formes arrondies qui encadrent les hautes colonnes du choeur. Pour arriver jusqu’à eux on a d’abord côtoyé les quatre célèbres gisants dont Aliénor d’Aquitaine et Richard Cœur de Lion qui leur font face. L’artiste engage ainsi son action, dans une citation qui nous accueille inscrite sur le bois de la scénographie :
« Faire sortir
de la terre humide
ces êtres endormis
ces corps ressuscités
qui glissent dans les plis
jusqu’au dévoilement »

La prouesse technique de Jeanclos a consisté à réussir son modelage par un montage de ses pièces autour d’un vide. Les formes s’érigent du bas vers le haut, luttant contre la propension de la terre à s’effondrer. Les feuilles de terre encadrent les figurines et la finesse de leurs traits en émerge.

Ces Dormeurs sont enfouis dans une couverture de terre qui laisse juste dépasser leur tête. Qu’ils soient seuls ou en couple leur forme globale apparait presque animale, telle un cocon pour une transformation vitale, une renaissance.Afin d’évoquer toutes ces formes refermées sur elles-mêmes, un des textes critiques du livre, rédigé par Colin Lemoine, titre sur un juste jeu de mots J’enclos.

Peu à peu les personnages vont trouver un peu d’autonomie , éclore de leur gangue de terre pour se redresser et affirmer leur humanité, d’où le parti pris scénographique inscrit dans le titre générale Elévation. Ces différentes séries sont l’occasion de réactiver des grandes figures de l’art comme de différentes religions. On y trouve des couples anonymes se soutenant mutuellement ou aussi célèbres que Marie et Joseph, des Pietàs, des Kamakuras , ces bonzes en méditation. Dans le passage de la vie à la mort on peut y déchiffrer des lettres hébraïques tirées du Kaddish , la prière des morts et observer des défunts en barques vers l’autre monde. Un même rapport à la condition mortelle de l’homme se manifeste dans la force plastique de le série des Urnes. Dans des alcôves autour de l’installation centrale divers bas reliefs donnent un cadre aux autres créations telle cette étude pour le Portail royal de Saint-Ayoul et d’autres scènes bibliques comme La dormition ou Jacob et l’ange.

En tournant autour de l’installation différentes perspectives d’intense dialogue entre les petites sculptures et l’imposante architecture religieuse se font jour, nous obligeant à accommoder sur ce peuple de terre qui résume toute l’humanité dans sa fragilité comme dans sa capacité de résilience , pour se tenir debout face au monde.