
L’esthétique numérique des jeux vidéo a plus souvent influencé les pratiques plastiques ou visuelles que les arts vivants. C’est pourquoi le dernier spectacle d’Alice Laloy « Le Ring de Katharsy » apparait aussi singulier qu’intéressant. L’originalité tient aussi à la formation de son autrice née en 1977, metteuse en scène, marionnettiste et costumière qui a fondé La Compagnie S’appelle Reviens domiciliée à Dunkerque.
Son premier grand succès présenté en Avignon en 2021 Pinocchio(live)#2 alignait des marionnettistes au-dessus d’une chaîne d’assemblage, usinant des enfants pour les métamorphoser en pantins. À cette première dystopie répond l’impressionnant jeu vidéo dont le titre sonne comme le concept de catharsis. Selon Aristote elle se définit comme la purification de l’âme du spectateur délivrée de ses passions face à un spectacle dramatique.
À l’entrée des spectateurs, l’ensemble du plateau est occupé par une imposante structure architecturale d’un gris sombre entourée de fumeroles. Alice Laloy la reconnait inspirée de l’œuvre du plasticien belge Hans Op de Beeck. On peut penser à son univers monochrome dans la grisaille mystérieuse du Voyage Nocturne à travers un parc désert, où personnages, natures mortes, objets et constructions architecturales recréent un univers singulier.


Quand la structure se soulève apparait en fond de plateau Katharsy qui domine l’ensemble du jeu, une entité féminine, interprétée par une chanteuse lyrique, une diva en robe à traine qui lance les injonctions de début de partie. Les commandes s’expriment en une succession rapide de verbes d’action à l’impératif. Ils motivent des pantins-avatars, apportés inertes, sur des chariots, et qui s’animent sous la conduite de deux joueurs situés à cour et à jardin de part et d’autre de l’espace central.
Pendant les quatre manches de cette longue partie seuls les deux gamers se distinguent par leur costume coloré à la mode cool actuelle sinon tout est recouvert d’un voile gris poussière, y compris la maitresse de cérémonie.
De l’imposante machinerie théâtrale suspendue sont propulsés au sol des objets du quotidien qui lancent l’action collective de chacune des manches. Grâce à un intelligent système de pistons à air comprimé ces objets parfois imposants tombent à l’équilibre juste à côté des performers. Les règles précises à appliquer par les manipulateurs sont énoncés par la voix, qui épelle aussi les scores tandis qu’on les voit aussi s’afficher sur les deux écrans suspendus de part et d’autre de Katharsy.
Les transports et portés de corps sont nombreux à l’intérieur du plateau de jeu ou pour la sortie des avatars éliminés et déposés en marge. Tous répondent soient à de figures de la danse contemporaine soit à celles de l’histoire religieuse de l’art telles qu’illustrées dans la peinture classique.
À la dernière séquence un lit tombe de la structure du plafond. Un couple s’y enlace, les hommes de main essaient de les séparer, malgré leurs tentatives réitérées ils n’y parviennent pas. C’est suffisant pour dérégler la machine, et que l’ordre de ce monde pseudo ludique soit détruit, dans un intense bruit d’explosion un immense voile violet recouvre l’espace et les protagonistes du jeu scénographié. Game over.