Après une exposition en 2012 au château de Pontivy et la réalisation d’une installation paysagère mêlant la géologie locale et diverses figures symboliques (globe, livres, mouette, chardon…) à l’entrée de Le Sourn, Rol (Roland Pignaud) expose à Bot Ponal.
Bot Ponal. En entrée, deux chiens jaunes enchainés l’un à l’autre, se font face, gardiens entendus, en accueil du lieu ou peut-être d’un secret. De l’observation du dialogue muet des figures tranquilles, le visiteur convoquera éventuellement quelques références à la marine, à la littérature, surtout mais pas seulement policière, ou au cinéma, une image polysémique du chien, augmentée par l’assemblage d’une mise en forme composite. Corps et têtes résultent de l’agencement et de la soudure de jupes et de coques supérieures de jerricans. Les détails anatomiques sont aboutés de diverses pièces métalliques, un bouchon à came devient la truffe, une bride plate l’œil…
Le visiteur peut s’arrêter ici ou s’ouvrir à un vagabondage dans de tout autres histoires pour peu qu’il s’intéresse au recyclage des matériaux, à la marque du rebut, que le sculpteur a laissée visible sur le flan des animaux, à la désignation, la facture de l’objet manufacturé. Antérieurs à leur transmutation animale, les jerricans ont une histoire industrielle chargée de secrets de fabrication, d’enjeux technologiques, d’espionnage et de copies industrielles remontant à la Seconde Guerre mondiale. Le flanc et les pattes d’un des chiens est composé de la jupe d’un bidon de l’armée américaine, faible contrefaçon des bidons allemands, l’autre, marqué de la Broad Arrow du War Department, de la jupe d’un bidon de l’armée anglaise, exacte copie de la technologie allemande, en redondance de l’étymologie du mot « jerrican ». Dès cette première pièce, les sculptures de Rol manifestent simplicité d’accroche du regard et complexité polysémique de leur construction charriant l’esprit du visiteur vers des horizons variés et des dimensions mêlées.
Au début de chaque sculpture ou installation, il y a l’idée et le titre, un jeu de mots, un calembour, un avènement d’humour, une référence détournée (Le « casse » de l’oncle TOM ; Les Paradis Perdus ; L’ I (Bis) ; Hommage aux Pair’s ; L’écuyère à café ; Les chiens aboient, la caravane passe…), le dessin et l’image, les couleurs ; au pied de l’œuvre achevée, un titre tracé en cursif, comme une justification dans le tout, un définitif sur lequel l’artiste ne revient pas.
Puis viennent la collecte, le tri et le choix des matériaux de récupération, jerricans, pot d’échappement, tuyaux divers, une antique machine à coudre (On va en découdre), un robinet (Le Choix des Larmes), quelques outils (Le Bal à Jo), de l’acier et du fer, chauffés, travaillés, soudés pour les amener au désir de l’idée.
Les pieds serrés dans des chaussures de sport dûment lacées, les deux flamands roses, couleur acier, déploient leur enveloppe spatiale en un treillis métallique, corps intérieur et extérieur contourné des mêmes tiges croisées, enlacées qui en donnent et l’assise et la légèreté transparente. Entre les pieds de l’un d’eux, un ballon de football, l’oiseau, la tête tendue vers l’objet de sa découverte. La scène est-elle la traduction réaliste d’une rencontre fortuite ou l’initiale d’un apologue sur les jeux et les enjeux humains ? Selon sa disposition d’esprit, le regardeur y verra fantaisie, humour, dérision, ou clin d’œil malicieux à l’utilisation de la diversité animale et des traits qui lui sont prêtés dans la littérature enfantine ou la fable.
L’inspiration formelle n’est pas qu’animalière, chevaux, oiseaux (Pelle à Oiseaux), rats (Rédemption, Rat-finerie industrielle), batraciens (Sue et les Salamandres) …, on y rencontre des livres de fer, des instruments de musique, notamment des guitares, quelquefois déformées, dont le visiteur se demande quel son métallique elles peuvent ou pourraient produire.
Pour d’autres œuvres exposées sur la pelouse de l’atelier galerie de Kerrault à Cléguérec, Rol sculpte le conte ou l’histoire, celle du rock entre mémoire et mélancolie. Blanche Neige & les Sept Nains…, dans son chambranle fixé sur une aire de pierre, une porte est entrouverte, constituée de deux vantaux, des ridelles avec fermeture, celle du haut avec un guichet fermé. À même le socle ou posés sur une pierre, sept boulets aux entraves de cheville ouvertes contribuent à inscrire l’installation dans une perspective de contrainte et de libération, d’enfermement et d’émancipation. Les Paradis Perdus, une pompe à essence, deux cadres avant de mobylette soudés sur deux jerricans et la photo de Marlon Brando appuyé sur la Triumph Thunderbird de L’Équipée sauvage. Entre années cinquante et années soixante-dix, entre le vrombissement des motos, la musique jazz-rock des juke-box, la jeunesse rebelle, la déambulation morose d’un « Dandy un peu maudit, un peu vieilli » (Christophe, 1973), quelques symboles des « Trente Glorieuses » et quelques références littéraires, le visiteur est happé par la complexité des liens de sa mémoire à l’histoire.
Rol procède par ajout, fer à cheval, tiges métalliques, objets divers, chauffés, tordus, découpés, forgés, soudés. La figure domine, mais dans un au-delà des frontières de la facture, à la limite où le métier, la maîtrise technique s’ouvre au rêve. D’une porte découpée et entrouverte dans le fer d’une pelle plate s’envolent des oiseaux (La pelle à oiseaux). Pas question ici d’appeau, la conférence poétique autour des deux faces de la pelle, imaginaire de la liberté se répercute en écho, ailleurs, sur la représentation d’un appareil photographique à soufflet, l’oiseau en partance de l’image.
On va en découdre. Le titre peut s’interpréter en de multiples sens. Concerne-t-il le rapport entre les deux figures, un avertissement lancé à la cantonade ou à une cible précise ? Le regardeur, observant, l’une après l’autre, les deux figures, dont il entrevoit les potentialités anthropomorphiques ou animistes, est laissé à son doute. Arquée sur des pattes d’échassier, une machine à coudre au fin museau mécanique semble apostropher une créature grêle aux ailes de fourches, les yeux ronds. On les pressent à la source d’un bestiaire industriel réinventant la poétique fantasque de la littérature, de la bande dessinée et du cinéma contemporains. Soumises au regard investigateur du visiteur, elles se parent d’attitudes et de sentiments plus ou moins corroborés par le titre de l’œuvre, menace ou écoute, peur ou sidération…, variables selon la position et le point de vue de celui qui les regarde.
Le bestiaire est aussi réaliste, avec une prédominance symbolique et facétieuse de rats, un morceau de métal forgé et coudé en forme de tuyau ouvert et les membres ajoutés au chalumeau. Une chaise, une couronne, une coupe et une société de rats, L’Utopie Rat-dieuse. Certains s’amusent, rats musiciens à la guitare et à l’harmonica, rats dansant, d’autres travaillent, d’autres encore, sur l’assise et sur le dossier de la chaise, semblent haranguer. L’œuvre risque les disproportions d’échelle entre les éléments humains délaissés et le peuple de rats différenciés par leurs instruments, leurs outils ou le port d’un bijou. Dans des jeux de références multiples, elle participe de plain pied au dialogue ouvert par de nombreux artistes de la fin du XXe siècle sur l’engagement social et politique de l’art. Sur des airs de blues ou de rock perceptibles dans le silence figé des musiciens, l’humour nostalgique ne cache pas l’ironie de la chaise vide et réoccupée.
Rol stoppe la détérioration des objets obsolètes, des débris, des rebuts métalliques. Il les assemble, les arrange, parties et tout. Il n’introduit pas dans son œuvre de processus de dépérissement, de dégradation. L’œuvre terminée reçoit une finition par sablage, bronzage, peinture où la rouille est une couleur appliquée comme les autres. Les sculptures sont faites pour durer, à l’identique dans le temps.