Aujourd’hui à Versailles, brillant de tous ses feux, le soleil d’un art rococo kitsch flamboie à son apogée, sans se consumer de ne retenir de l’air et de l’hélium que leur chaleur et leur froideur encapsulées. Faut-il rire, faut-il pleurer ?

On le sait, comme l’écrivait le moraliste La Rochefoucaud sous le règne de Louis XIV, le soleil et la mort ont en commun de ne pouvoir se regarder fixement. Et le poète J. Cocteau de lui répondre, trois siècles après : si, en portant des lunettes noires, cela se peut. Le triomphe grandiose de l’artiste plasticien américain J. Koons, actuellement exposé au château de Versailles aux grands frais somptuaires de l’Etat français, illustre parfaitement le sens que recèle ce drolatique échange d’aphorismes. Une telle exposition nous montre combien la situation contemporaine de l’art est d’osciller fatalement entre l’aveuglement et le factice, sous la très grande lumière des projecteurs du spectacle de la communication et de l’argent, sur la bordure déjà simulée d’une mort relative de son sens. La célébration majestueuse de son efficace et splendide impuissance peut alors se voir reflétée dans les mille miroirs d’une imposante vitrine, celle d’un palais de glaces, mêlant étrangement à l’ancienne splendeur royale un peu baroque de la pierre, la figure rutilante des métamorphoses du plastique dévoilé, la malléabilité d’une matière fossile pompeusement remodelée.

Par définition, le kitsch, c’est ce qui brille artificiellement de mille feux et qui plaît par son excès de fausseté, par l’abus exagéré de son caractère factice exhibé. Le kitsch a pour loi de se trouver situé entre l’exagération effrénée de son enveloppe et l’abus clinquant des effets de son reflet, de ses faux miroitements démultipliés à l’envie pour séduire. De cette terrible mise en scène, J. Koons est très certainement l’un des meilleurs génies actuels, parvenant à porter au sommet du succès des baudruches qui ne sont point factices, mais tout à fait réelles, parce qu’elles figurent désormais comme des sculptures sur la scène muséale. De la sorte, le faux est devenu le vrai, au moment même ou la fausseté a corrompu universellement la vérité, tout pouvant se fabriquer sans cesse à foison. Il n’y a donc plus l’opposition du mensonge et de la vérité, de l’art et du non art, mais la collusion raffinée du vrai et du faux au sein d’un factice authentique qui s’affiche comme art. Effectivement, avoir pu porter le simulacre d’art au comble de l’œuvre d’art est un art dont on peut reconnaître la parfaite possession à celui qui s’en est rendu capable. De même qu’autrefois le Dieu Apollon lui-même put se voir confondu iconographiquement avec la personne du roi de France, il est permis de croire qu’un nouveau Léonard de Vinci, venu cette fois des Amériques en ballon, rende visite à la demeure d’un ancien prince du vieux continent pour s’y magnifier personnellement.

Car qu’est-ce qui empêcherait désormais la République française de ne pas contribuer à transformer le château de Versailles en un merveilleux parc d’attraction pour artistes ? A l’est de Paris, dans la direction vers laquelle le vent porte les fumées, il y a Disney Land, pour le peuple et les touristes. Pourquoi ne pas faire à l’ouest de Paris, à Versailles, de cet ancien village de chasse des puissants, la demeure clinquante de l’apothéose d’un art devenu intégralement culte distancié et subterfuge glacé d’un rococo kitsch de notre temps ? Car si l’art moderne a pu s’atteler à dire l’authentique, tragique et paradoxale fausseté du vrai, au prix d’une surexposition des corps et des sujets, d’une dislocation de la forme, voici que l’art, d’après le post-moderne, s’attache à décréter, à nos dépends et de façon grandiloquente, l’authentique vérité de la fausseté partout omnipotente. De profundis clamavit. Longue vie aux baudruches ! Vive J. Koons ! Vive le roi ! Vive l’art !

15/09/08