Le livre carré à la couverture verte, rembourrée, nous donne dans son épaisseur une sensation de souplesse qui suggère le confort des vieux albums d’images. Ce livre pourtant ne laisse d’emblée que peu de place aux extraits photographiques que la graphiste Charlotte Devanz a inséré dans le corps des lettres. Le A de « HAUS » accueille une fleur pour évoquer « la maison ». Le O de « HOFF » (la Ferme) encadre le portrait d’une enfant au regard boudeur ou questionnant. Dans le D de « LAND » picorent des poules. Ces termes germaniques du titre nous rappellent les origines de la photographe qui vit en France depuis près de 30 ans . Ce livre fait suite à un premier album « D’Allemagne » publié en 2003.
Une très jeune fille habillée en dimanche se fait coiffer chez elle, est ce pour ces gâteaux de fête sur leur nappe d’apparat, tandis que les hommes comme les bêtes se reposent , un grand frère rêve d’aventure sur des chariots enneigés. La fête devient parade dans un village miniature. Puis la vie à la ferme reprend dans le calme des paysages où les soldats ne sont plus que des jouets. L’événement c’est la naissance d’un petit veau, couverture repliée sur les meules de foin, la petite chaise percée comporte son boulier en attente d’une autre fête folklorique. Tous ces espaces intimes se dédoublent comme l’écrivait Christophe Berthoud sur « des espaces ouverts à la connaissance de soi ». Toutes les vues en extérieur semblent offrir des échappatoires par rapport aux lieux plus contraints où vivent les personnages de différentes générations.
Ces sorties évoquent une autre série résultante des pratiques quotidiennes de la photographe, ces Dogwalk où les promenades avec son chien dont elle filme le processus dans Charo’s video donnent matière à des images de proximité. Ses modèles appartiennent à sa sphère intime, on les reconnait sur des images à différents moments de leur vie. On peut les considérer comme des figures prototypes où chacun de nous aime à retrouver ses proches. Dans ce rapport tactile à l’enfance de nombreuses photographies sont centrées sur un objet que le cadrage central vient juste nommer, champignon, maison de poupée, escabeau etc comme dans un abécédaire. En effet HAUS HOF LAND est un livre sans texte si ce n’est un feuillet glissé en fin d’ouvrage où Brigitte Bauer liste ses mots en français et en allemand qui marquent ses réactions spontanées après constitution du chemin de fer de son livre.
La photographe entretient un rapport singulier au temps, elle sait que pour faire œuvre la photographie doit prendre le temps de sa maturation, ainsi des images d’Ost Deutschland réalisées en 1989 seront exposées pour les 20 ans de la chute du Mur. Et les œuvres de son dernier livre sont collectivement datées 1987-2015 sans précision individuelle. Si certains évènements défilés ou processions ainsi que moments de famille semblent immuables les images d’exil qui en résultent s’affirment moins en référence à un pays qu’à une période de l’histoire récente mais aussi du développement de la personnalité de chacun. Ce livre nous incite à faire dignement le deuil de notre enfance.