Une salle des pas perdus, un passage, l’espace intérieur d’un musée ou d’un centre commercial. Des personnes marchent, s’arrêtent, bougent, se croisent, se rencontrent. Échangent peut-être. Il n’y a rien à raconter ou tout à imaginer.
Le jour ou la nuit. Seule la lumière, mobile et arrêtée, trace un signe et quelques ponctuations. Mot ou idéogramme dont le sens est mouvement ou échappée d’une conversation, surprise jusque dans son indiscrétion. La photographie ne nous en dit pas plus sur ce qui a été en cours et pourtant elle joue pleinement de ce paradoxe, l’onde lumineuse aperçue comme un rais de lumière, et celle-ci comme un état, passager ou qui perdure, l’état du ciel ou le laps de temps compris entre les manœuvres inverses d’un interrupteur ou d’un commutateur. La photographie nous plonge dans cette complexité incertaine, entre arrêt et mouvement de la lumière.
Mouvances de réactions chimiques. La ville ou une prairie ou l’océan, perçus peut-être à travers une fenêtre. L’arrière-plan se gonfle, ondule, respire, il est traversé de courants à la densité variable, plus ou moins labiles dans lesquels s’enfonce, là, un coin étincelant qui révèle d’autres granularités et d’autres transparences ; se greffent et se dressent, ici, des opacités architecturales qui dévoilent un abyme de déflexions et de profondeurs, signes indéniables que l’œil découvre en se laissant leurrer. Étape par étape, il se passe toujours quelque chose par delà la fenêtre.
De l’autre côté du pare-brise, la rue défile en traces lumineuses allongées sur lesquelles s’esquissent les trouées des architectures routières ou le cortège des immeubles et leurs ombres massives flanquées sur l’horizon. Quelques enseignes tracent des fils latéraux de lumière rythmant le clair et l’obscur, tandis que les phares, rouges ou blancs, inscrivent leur écriture, tantôt cursive, tantôt sous forme d’idéogrammes isolés ou en couple. Ailleurs, les couleurs se diversifient et se saturent, créant autant de touches picturales où l’aplat translucide engage une multiplicité de profondeurs.
Dans les photographies de Benoît Labourdette, tout s’expose en rétractions et extensions de luminosité et d’éclat condensées dans le temps de la prise de vue. Le photographe met en marge l’instant ou le moment de l’événement pour ceux, combinés dans la durée, de l’arrêt de lumière qui le recrée. Une dimension que seul l’argentique peut encore composer dans l’infini de ses nuances. Les signes, points et courbes, produits par les points d’émission d’une plus forte intensité lumineuse deviennent alors décryptables comme des fragments de ville à connecter. Le photographe y invite, quand, photographiant son reflet dans les surfaces vitrées, il l’accompagne d’un logogramme étiré en incomplétude, « et la lumière etc. ».
Muée en une architecture mentale, la représentation de la ville hésite, basculant sans cesse de l’une à l’autre ou les combinant, entre la reproduction d’une minéralité déstabilisée et celle d’une fluidité organique où dansent les couleurs et les formes.