Rencontre avec le peintre Marius Pons de Vincent à l’occasion de l’exposition Chloros à la galerie Jean-François Kaiser à Strasbourg.

Chloros, vert en grec ancien, est le titre de votre nouvelle exposition. Que signifie ce titre ? Y a-t-il un lien avec la nymphe Chloris ?

Quelques mois avant l’exposition, je lisais l’ouvrage de Michel Pastoureau, Le vert, histoire d’une couleur. Un chapitre entier y est consacré au vert dans la Grèce antique à travers le prisme de la langue. On traduit aujourd’hui chloros par vert, or selon l’auteur, ce n’est pas aussi clair. D’après lui, le grec ancien ne nomme pas clairement le vert. Il existe quelques mots qui l’évoquent, dont chloros qui semble constamment hésiter entre jaune et vert. Le vert, omniprésent dans l’exposition, n’est jamais le même d’un tableau à l’autre.

Pourtant, je pense à chaque fois à une seule et même couleur, le vert d’incrustation, Chroma Keys, utilisé en vidéo. Il s’agit de chercher un vert bien précis avec des outils qui ne le permettent pas. Et comme chloros évoque le vert sans vraiment le signifier, je cherche une teinte sans jamais la trouver. Au delà de la déesse Chloris, le champs lexical du végétal et de la verdure qui découle de chloros, rappelle la précédente série de tableaux, figurant des naturistes dans des paysages, dont La planche, présente à l’exposition. J’aime qu’un titre ait plusieurs lectures possibles, qu’il dise quelque chose des tableaux sans être trop autoritaire, trop bavard. Chloros me semblait à la bonne distance de ces derniers…

Vous définissez-vous comme peintre ? Comment la peinture s’est-elle imposée au cours de votre parcours ?

Oui, je me sens peintre, parce que formellement, je peins. De plus en plus, je suis attaché à l’idée d’en faire mon métier. Un atelier, de la rigueur, des semaines de travail. C’est un socle pour ne pas se perdre dans un néant créatif. Au début de mes études d’art, on demandait aux élèves d’avoir de bonnes idées et de choisir le medium le plus à même de les servir. Je n’ai jamais réussi cet exercice. Je me débrouillais toujours pour peindre. Plus tard, dans l’atelier de peinture, il s’agissait toujours d’être pertinent, mais surtout de faire des tableaux. J’y étais à ma place. Aujourd’hui encore, il me semble parfois que mes sujets sont, avant tout, des prétextes à peindre. Je crois que ce qui, dans un premier temps, m’a séduit, c’est le folklore. Les odeurs, la saleté, la bohème. Adolescent, tout cela me semblait être d’excellents atouts avec les filles…Heureusement, peu à peu, ce théâtre a laissé la place au goût de la peinture, de son artisanat et à l’ambition d’en faire une meilleure d’un tableau à l’autre.

On assiste aujourd’hui à une revalorisation de la peinture figurative, qu’est-ce que cela vous inspire ? Avez-vous le sentiment d’appartenir à une nouvelle génération de peintres ?

J’ai un rapport assez ambivalent à ma génération. Il y a un flot de peintres, qui à mon sens, s’inquiètent davantage de l’image que de la peinture. Nous sommes nombreux à proposer une peinture qui parfois, de l’une à l’autre, se ressemble comme deux gouttes d’eau. Je m’inquiète parfois d’appartenir à cette famille et d’hurler un peu avec les loups. C’était souvent le cas au moment où je peignais la série Baignade Surveillée. Je n’aime pas me dire devant un tableau d’un autre, « Je comprends, ça m’est familier ». C’est une des raisons pour lesquelles, je suis passé à une autre peinture, plus bricoleuse, moins soumise à l’image et qui finalement, m’amuse davantage. J’aime être étonné par un tableau, sentir une identité singulière, quelque chose d’exotique, loin de ce que je connais. Heureusement, il y a dans ma génération, beaucoup de ces peintres là. Il y a des tableaux très séduisants, qui enthousiasment immédiatement, mais qui finissent par lasser. Puis ceux que l’on ne remarque pas au premier coup d’oeil, mais qui résistent, ne se livrent jamais entièrement.

Qu’est-ce qui nourrit votre pratique ? Y a t-il d’autres artistes avec lesquels vous entretenez des liens importants ?

Ma pratique se nourrit en premier lieu d’elle même. Un tableau se construit dans la continuité ou sur les cendres du précédent. C’est particulièrement le cas pour ceux montrés à la galerie. Au delà de l’atelier et de ce qui s’y joue en huis clos, il y a évidemment, beaucoup de chose qui nourrissent mon travail consciemment ou pas. Les évènements qui traversent ma vie, les expositions que je voie, la musique que j’écoute, ce qui m’afflige, ce qui m’émerveille. Depuis des années, je partage ma vie, avec une peintre, Camille Bres. Pendant huit ans, nous avons peins côte à côte, au sein du même atelier. Nous connaissons parfaitement les coulisses de nos tableaux respectifs et nous veillons à nous surprendre régulièrement. Nous entretenons ainsi, dans le silence du travail ou sur le canapé de notre appartement, un dialogue passionnant sur la peinture. Il y a les vivants, Aurélie de Heinzelin, Alexandre Astier, Guillaume Greff, Emilie Vialet, Daniel Schlier, David La France, Marion Bataillard, Martin Kasper, que je croise ou fréquente. Ceux là me donnent envie de retourner travailler. Puis les morts, ces grands chevaux après lesquels je cours, De Chirico, Uccelo, Fra Angelico, Boecklin, Magritte, Kery James Marshall, Guston, Katz, Ernst, Dix, pour ne citer qu’eux.

Papier peint entretient une référence directe avec la photographie, l’ambiance énigmatique de vos toiles rappelle parfois le cinéma. S’agit-il de sources d’inspiration ?

Le cinéma résonne davantage dans mes anciens tableaux, peints jusqu’en 2015. Je travaillais alors à la mise en scène de figures dans un espace. Il s’agissait alors de trouver une tension. Rien de trop évident, une étrangeté sourde. Dans cette recherche narrative, cette fabrique du bizarre, j’emprunte beaucoup au cinéma. Je travaillais à la série Baignade surveillée quand je découvre les films d’Alain Guiraudie. Je pense surtout à L’inconnu du Lac. J’ai trouvé dans ce film l’essentiel de ce que je voulais alors injecter à mes tableaux. Il met en scène des orgies homosexuelles d’une façon quasi documentaire mais soigne le beau. Il est bienveillant. Le lac, ses berges, son bruit, sont capturés avec une telle intensité que le décor semble vivant. Après l’avoir vu, j’étais à deux doigts de renoncer à mon projet. La série de photographie de Diane Arbus réalisée dans un camp de naturiste m’a fait à peu près le même effet. Je pense aujourd’hui que c’est parce que ma peinture entretenait alors une proximité plastique trop importante à ces médias, que je me suis senti au chômage devant ces oeuvres.

La photographie, avant d’être une source d’inspiration, demeure un outil. Un outil à partir duquel j’ai bâti beaucoup de mes tableaux. Or, je cherche à les rendre autonomes vis à vis de ce dernier. La liberté que je cherche en peinture s’est longtemps butée à un souci de réalisme tiré de l’image photographique. L’image sert la peinture, non l’inverse. Il m’est arrivé d’achever un tableau, et de trouver mes modèles imprimées, souillées de taches de peinture, plus forts que mon ouvrage…C’est de ce constat qu’est né Papiers peints sur fond vert. Ce tableau en a amené d’autres qui ont, depuis, libéré mon travail de cette animosité vis à vis de son modèle.

Si l’ensemble de votre travail se situe plutôt du côté de la figuration, on trouve une forte tension vers l’abstraction, notamment dans les séries Chiffon et Palettes. Qu’en est-il du lien entre figuration et abstraction ? Cela fait-il encore sens de diviser les choses ainsi ?

Une peinture figurative est une somme de taches organisées de façon à produire une image. Combien, au musée se penchent au plus près des tableaux ? Ils cherchent probablement à perdre de vue l’image pour goûter à deux centimètres carrés de peinture abstraite. Il m’arrive d’oublier l’objet que je peins au profit d’un accident de matière. « Ah oui, c’était un ventre ». Et le bout de chair s’organise autour de l’accident que je veille à garder intact. Les accidents prennent de plus en plus d’importance dans ma peinture. Dans la série des Chiffons et des Rideaux, il s’agit ni plus, ni moins de mes torchons et de ceux Camille. Ce sont les carrés de tissus sur lesquelles nous essuyons nos pinceaux. Des chutes d’ateliers. Je les tends sur un châssis et les enduis à la colle de peau. En transparence, je travaille à un effet de drapé, celui d’un torchon, d’un rideau ou d’un vêtement. Enfin, pour que l’objet émerge, je le détoure avec une couleur opaque. Ce qui est donné à voir, ce sont des torchons maculés, des bouts accidentelles de peintures abstraites, maquillés en ce qu’ils étaient initialement, des drapés. La distinction entre la figuration et l’abstraction va de soi, mais sur la distance qui les sépare, on ne distingue pas de frontière nette. L’une et l’autre se chevauchent, sont les facettes d’un même volume.

Si la peinture figurative représente le monde, il semble que votre travail n’omet pas de parler de la peinture en soi, c’est peut-être ce que reflètent les séries Chiffon et Palettes. Votre travail est-il d’abord une réflexion sur le médium ?

C’est tout à fait le cas depuis Papiers peints sur fond vert. J’ai fait au printemps 2016, une petite exposition au Schaufenster à Selestat, dont c’était précisément l’objet. Elle avait pour titre Huis Clos et était accompagnée de ces quelques lignes. « Au cours du travail, des choses tombent. Impressions sur papier A4 souillées ou chiffons raidis par la matière, ces chutes s’entassent dans l’atelier. Elles ont été les consommables utiles à la fabrication d’une peinture. Certaines deviennent le sujet d’un prochain tableau. A nouveau, des choses tombent. » Au moment où je travaillais à la série Baignade surveillée, je passais un temps considérable sur les tumblr, blog, partout où je pouvais trouver des photographies amateurs de naturisme. Je piochais une figure par ci, une autre par là, ailleurs encore un ciel, et constituais ainsi mon tableau. En peu de temps, mon atelier regorgeait de ces feuilles A4 sur lesquelles, par soucis d’économie, était imprimé deux images. Les tiroirs en vomissaient, d’autres jonchaient sur le parquet. Celles que j’avais utilisé pour le bien d’un tableau, étaient souillées par un long séjour sur une palette ou entre mes doigts sales. L’huile formaient des auréoles jaunâtres et sur certaines on peinait à lire l’image.

Sur Papiers peints sur fond vert, je renonce à les utiliser tel que je le faisais jusque là. Je ne veux plus représenter une scène, celle de corps nus dans un paysage ; mais peindre mes modèles telle qu’ils sont. Je peins dix neuf de ces feuilles sur une toile de lin à la maille très grossière. Je choisis un fond vert, en pensant à l’autre fond vert, celui du cinéma. Le vert d’incrustation, chroma key me semble être aux vidéastes ce que la toile vierge est à un peintre. La couleur est forte, elle m’évoque le factice, l’image en construction, les possibles. Ce tableau est le fruit d’un labeur absurde, celui de vouloir donner l’illusion du papier sur une toile de jute et celui de chercher une teinte d’une précision numérique avec des outils aléatoires. Pour la première fois, je peins mon atelier, ma pratique. Il s’agit à la fois de mon matériel mais aussi de mes chimères. De là, j’ai persisté en ce sens. De façon très formelle, lorsque mes déchets d’atelier deviennent un support, un sujet ou les deux à la fois. Et d’une manière plus littéraire, dans la série Studio. J’y mets en scène un fantasme d’atelier. Comme dans un manuel pour jeune magicien, il s’agit d’y montrer le chantier en cours d’une peinture, ses coulisses, le leurre et les outils utiles à sa mise en oeuvre.