Vainqueur du prix Henri Cartier-Bresson en 2019 Mathieu Pernot, expose cette année à la Fondation le résultat de cette carte blanche sous le titre « La ruine de sa demeure » dans un commissariat d’Agnès Sire.L’exposition regroupe des archives familiales, celles de son grand père, ainsi que d’autres récupérées dans des maisons détruites de MossouL Il complète ce corpus historique par les images qu’il a réalisées dans son périple du Liban à l’Irak et à la Syrie.
J’ai eu le plaisir de travailler avec Mathieu Pernot après ses études d’histoire de l’art à l’université de Grenoble et tout au long de sa scolarité à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles où j’ai assisté à son engagement auprès de la famille gitane des Gorgan, qui a constitué un pan majeur de son oeuvre. Trois ans après son diplôme obtenu en 1996 il publie son premier livre Tsiganes chez Actes Sud, En 2014 le Jeu de Paume lui consacre une rétrospective sous le titre de La Traversée.La reconnaissance de son travail lui aura fait bénéficier l’année précédente du prix Nadar et l’année suivante du prix Nièpce.
Fort de l’aide de 35000 euros du prix Henri Cartier-Bresson il engage son voyage mémoriel : à Beyrouth il retrouve l’appartement où ses grands-parents et son père ont vécu dès 1925 avant le départ de ce dernier pour la France en 1958. Il retourne sur place en 2020 après l’explosion du Port qui a rendu l’immeuble inaccessible. Malgré tous ces obstacles , auxquels s’ajoutent ceux liés à la pandémie qui a retardé cette exposition d’un an, il construit son récit du « voyage dans les ruines de l’Histoire » comme il aime à le déclarer.
La question posée par cet ensemble d’une soixantaine d’images concerne aujourd’hui non seulement des artistes mais aussi des tenants des sciences humaines. Ainsi Patrick Nardin et Soko Phai coordonnent un ouvrage collectif paru aux éditions Naima concernant Le paysage après coup. Ils le présentent ainsi « Se confronter à un paysage-catastrophe, c’est interroger notre relation à l’histoire et à la mémoire des lieux à l’épreuve des guerres et des massacres : comment un paysage d’après conflit peut-il offrir une visibilité à l’histoire ? Si la nature est elle-même meurtrie par un passé violent, comment témoigner de l’après coup des paysages ? »
Pour apporter réponse à ces questions majeures Mathieu Pernot conjugue les éléments historiques sous la forme d’archives individuelles et familiales complétées d’autres images intimes trouvées sur place avec sa propre approche documentaire en couleurs. Ces deux temporalités à l’oeuvre rendent la vision personnelle du photographe plus dramatique encore. Les éléments humains présents et actifs dans ses cadrages montrent cependant une population réactive aux agressions de l’histoire récente. Il sait jouer aussi d’oppositions parlantes comme ce cheval dans des ruines urbaines, ou cette boucherie décorée du portrait du président , image critique s’il en est.
Les images couleurs sont rendues plus parlantes par l’accrochage très dynamique qui fait alterner diptyque et triptyque rendus possibles par le mode de prise de vue sur chaque site. Il peut faire alterner deux types de plan, vertical et horizontal, plan général et gros plan, ou opérer un léger décalage de parallaxe correspondant à deux points de vue sur un lieu ou à deux moments d’une même action.
Un autre décalage culturel se produit du fait que Mathieu Pernot documente à la fois les paysages séculaires de sites archéologiques comme Baalbek au Liban ou la plaine de Ninive en Irak qui contrastent avec les destructions de la guerre ayant défiguré ces villes d Homs, Alep ou Mossoul. La tragédie vécue par cette région se trouve illustrée avec une intelligence plastique et le souci de l’humain habituel chez l’auteur. Cette oeuvre d’une grande exigence sait motiver notre intérêt et susciter notre compassion.