L’ENIGME d’une nouvelle forme opératique performative

ENIGMA est la dernière proposition d’installation photo-vidéographique de Pierre Coulibeuf présentée dans le cadre de la saison Franco-Portugaise suite à une résidence à l’Abbaye Neumünster dans le centre historique de Luxembourg. L’exposition présentée jusqu’au 7 août 2022 à la galerie Foco à Lisbonne puis dans les lieux du tournage à l’automne s’accompagne d’un livre publié par Stolen Books avec deux textes critiques des commissaires Juliette Singer pour la France et Ana Rito et Hugo Barata pour le Portugal.

La partie filmique a été tournée à Luxembourg ville, en jouant de l’opposition entre la ville basse où se situe l’Abbaye et la ville haute où les deux actrices-performeuses sont censées être enfermées dans une sorte de villa bourgeoise proche d’une forteresse. Pierre Coulibeuf a dirigé Vânia Rovisco et Andresa Soares et il a collaboré aussi avec la chanteuse lyrique Véronique Nosbaum . Contrairement à ses films précédents aucun acteur n’intervient dans leur dialogue corporel privilégié.

L’Abbaye de Neumünster située dans le Grund fournit à l’auteur le thème de l’enfermement qu’il scénographie pour son duo féminin en référence à son histoire. En effet fondée par les bénédictins elle fut successivement monastère, prison, caserne, orphelinat ; destin plus tragique encore elle devint lieu de détention de la Gestapo pendant la seconde guerre mondiale pour des juifs et résistants en partance vers Auschwitz. Après la guerre, elle redevint jusqu’en 1985 une prison pour hommes.

Dès 2009 avec Dédale il s’inspirait d’une architecture, celle du bâtiment qu’Alvaro Siza a conçu pour la Fondation Iberê Camargo au Brésil, pour y déployer une version moderne d’Ariane et de son enfermement, jouant aussi sur le double. Pour marquer cette continuité thématique, plusieurs image en sont reprises dans le livre.

La structure complexe d’ENIGMA , cette œuvre transdisciplinaire implique la performance, le chant d’opéra, le cinéma de fiction, l’installation vidéo, la photographie, l’architecture. Ses deux composantes majeures sont un film de 26 min 52 s (tourné sur support 35mm) et une installation vidéo-photo composée de 4 images en mouvement et d’une série de 12 photographies en couleur.

Le travail sériel qui déploie les corps dans les photographies semble dupliqué et mis en abîme dans les versions en mouvement. Dans ce mouvement subtile images réelles et images mentales se mêlent. Comme l’écrit Juliette Singer : « ENIGMA agit comme une psyché , miroir renvoyant le réel à son propre reflet, mais aussi incarnation plus opaque et diffuse, de différents phénomènes psychiques qui nous constituent en tant qu’individus. »

Les mêmes phénomènes nourrissaient la dramaturgie performée d’une pièce datée 1988-2006 et titrée Delectatio morosa. Une image extraite de cette vidéo précède le dernier cahier du livre composé de film stills, des bandes de trois photogrammes rendent sensible le rythme des déplacements des deux femmes, tandis que des images singulières montrent leur progression à l’écoute d’une sorte de chant des sirènes interprété par la chanteuse lyrique. Une des images les plus graphiques reprise en couverture tire l’ensemble du projet vers une dimension des plus chorégraphiques, qui ravive les collaborations de Pierre Coulibeuf avec les danseurs les plus contemporains.