Florian Gaité publie son essai « Tout à danser s’épuise » aux éditions Sombres torrents. Il y développe l’opposition entre l’épuisement choisi dans l’activité de la danse et celui que la société capitaliste impose aux corps humains.Cet essai intègre des critiques de spectacles de danse, de performances ou d’expositions, rédigées entre 2015 et 2020, ainsi que des études de diverses pièces chorégraphiques récentes rassemblées comme autant de Figures illustrant l’approche philosophique et critique.
Florian Gaité, docteur en philosophie, intervient en tant que chercheur rattaché à l’Institut ACTE (Université de la Sorbonne Paris 1). Critique d’arts plastiques et vivants, il travaille pour la presse écrite et la radio ( il participe à« La Dispute » sur France Culture). Il a mené sa thèse « L’art et la schize du sujet : plasticités contemporaines » sous la direction de Catherine Malabou. En 2019, il remporte le prix de l’Association Internationale de la Critique d’Art (AICA) pour la présentation du travail d’ Ariane Loze, performeuse et cinéaste.
Son présupposé est que la danse est avant tout l’écriture d’une perte, d’une dépense au sens où Georges Bataille définit ce concept . Son étude cherche à révéler ce que cette perte peut avoir de désirable. Il développe le paradoxe qui
transforme cette négativité à l’oeuvre en l’instrument d’une libération et d’une émancipation.
Il approche différentes intensités d’épuisement et de dépense comme autant de têtes de chapitres : Excitation, Exténuation, Extinction, Expiration jusqu’à la conclusion Vivre de fatigue. Chacune de ces formes est illustrée par des Figures extraites de l’analyse de pièces dansées ou performées. Il choisit d’approcher les créations de chorégraphes radicaux Jan Martens, La Ribot, Jérôme Bel, Noé Soulier ou de créateurs aux limites des arts vivants et des arts plastiques Émilie Pitoiset, Julien Prévieux, Davide Balula.
Deux spectacles poussent à fond la logique de dépense dansée.The show must go on, la pièce la plus ancienne figurant au répertoire de Jérôme Bel se déroule sur un plateau brut au bord duquel opère un DJ , son set reprend toutes sortes de tubes pop rock inscrits dans la mémoire collective. Il opère ainsi une critique du conditionnement musical auquel l’industrie nous soumet pour un formatage des corps. Jan Martens pour The dog days are over soumet 8 danseurs en tenue kitsch à une longue chorégraphie de sauts de tous ordres. La seconde partie ruine leur énergie en fausses interruptions.
Deux autres Figures dansées s’attachent à la violence de la relation sexuée. Mélanie Perrier dans Lâche scénographie le pas de deux d’un couple hétérosexuel en rupture. Sur une musique techno, dans une lumière pauvre ce duo androgyne passe de tensions en relâchements. Thiago Granato et Jeta Van Dinther pour This is concrete (2014) présentent dans un lieu post-industriel la rencontre exacerbée de deux hommes autour d’un haut parleur. La danse urbaine qui les unit se déroule au ralenti dans la pénombre. Florian Gaité dans l’introduction de cette partie Exténuation résume ainsi ces rapports de couple : « Thanatos est un chorégraphe minimaliste. Dyonisos son interprète. Tous deux dansent macabre. »
Comme première Figure de l’Extinction Emilie Pitoiset dans Where did your love go reprend le déroulement du marathon de danse pour montrer les membres engourdis jusqu’à la pétrification, incarnant la catastrophe du corps autant que la déroute psychologique. Suivent l’évocation de deux pièces plus performatives La pièce distinguée n°1 de La Ribot que l’auteur définit comme « manifeste pour l’immobilité en danse ». Sirène nue gisant sous un drap l’artiste espagnole teste l’épuisement de son mouvement. Davide Balula dans sa performance User des lieux comme des vêtements usés opère une fusion des corps et du décor, les contraintes du vêtement y sont scénarisées.
Une exposition montée au Carré d’Art de Nîmes A different Way to move : minimalisme New York 1960-1980 emprunte son titre à Yvonne Rainer pour rendre hommage aux tenants de la post-moderne dance telle qu’elle s’est inaugure à la Judson Church . Dans un accrochage anti-lyrique l’auteur insiste sur le dialogue entre e Simone Forti et et Robert Morris qui montrent comment la danse peut se fonder sur les principes de la sculpture. Le Musée est le lieu d’une autre création, celle de Noé Soulier pour Performing art. Les oeuvres sont soumises aux impératifs du spectacle. Sur le modèle des Tasks d’Yvonne Rainer le chorégraphe exploite la théâtralité des gestes muséaux.
Les deux dernières Figures participent de l’exposition Danse Danse Danse dans un commissariat de Benjamin Laugier et Mathilde Roman au Musée National de Monaco. La vidéo La répétition d’Emilie Pitoiset réorganise des gestes issus de la mémoire et des sculptures dont la morphologie évoque des corps dévastés de fatigue. Julien Précieux dans What Shall we do next organise des gestes codifiés par l’industrie, la police ou l’art. La vidéo constitue une critique de la propriété industrielle à travers différents protocoles.
En conclusion l’auteur propose face à la fatigue globale sociétalement programmée de continuer d’opposer la dépense radicale de la danse. L’actualité de cette approche Florian Gaité l’a évoquée sur France Culture devant le micro de Marie Sorbier pour Affaire en cours. Boris Charmatz a enregistré pendant le dernier confinement sa performance La ronde sous la nef du Grand Palais. De l’aube au crépuscule, le chorégraphe et ses invités ont enchaîné des duos « de Don Quichotte à Dirty Dancing en passant par Anne Teresa De Keersmaeker et des duos inventés pour l’occasion » sur le principe de La Ronde d’Arthur Schnitzler : un interprète danse deux duos jusqu’à ce qu’un nouveau danseur arrive, formant ainsi une chaîne ininterrompue. Il les définit comme « une chaîne infinie de duos dansants, chantants, parlants. Les corps bougent, se heurtent, s’embrassent, se quittent et pourtant restent, se lient dans l’espace mental, s’ancrent pour maintenir une continuité du vivant et du désir. »
La captation vidéo de cette performance dansée de Boris Charmatz, adaptation de La Ronde d’Arthur Schnitzer, sera diffusé le 12 mars 2021 sur France 5