La Fabuloserie créée par Alain Bourbonnais à Dicy dans l’Yonne en 1983 comporte une maison-musée accueillant sa collection d’art brut et un jardin habité autour d’un plan d’eau qui recueille de nombreuses sculptures réalisées par des singuliers de l’art et le célèbre Manège de Petit Pierre qui fête cette année ses 30 ans d’installation dans le lieu.
Alain Bourbonnais (1925 – 1988), architecte et sculpteur français était aussi collectionneur d’oeuvres que l’on peut assimiler à l’art brut. La collection de l’Art brut désignait la collection de Jean Dubuffet, aussi ce dernier suggéra-t-il à Alain Bourbonnais le terme art hors-les-normes pour sa galerie parisienne, l’Atelier Jacob, ouverte de 1972 à 1982 avec le soutien de Dubuffet, qui lui donna une liste de 35 adresses de créateurs. A la différence de la collection de l’Art brut on ne trouve pas de malades mentaux, mais des personnes impliquées dans une vie sociale.
.En 1978, Alain Bourbonnais est l’initiateur avec Michel Ragon l’un des commissaires de l’exposition les Singuliers de l’art au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. A La Fabuloserie, musée d’art hors-les-normes, ouvert à Dicy dans l’Yonne en 1983, suite à la fermeture de l’Atelier Jacob, on peut, dans une vaste pièce, admirer les sculptures grotesques et hautes en couleur des Turbulents, tandis qu’en plein air une tour et une façade bricolée façon théâtre étaient destinées à les voir performer. Plus statique la salle de Mauricette réunit les silhouettes massives des personnages accablés par le destin de Francis Marshall.
Cette collection trouve tout son intérêt dans les nombreuses techniques mises en oeuvre : dessins,(Janko Domsic) peintures (Michèle Burles) sculptures (Joël Negri) installations et même design avec la salle à manger de Giovanni Podesta. On y retrouve les créateurs devenus célèbres comme Michel Nedjar ou André Robillard et ses fusils, mais aussi des oeuvres à découvrir comme les stèles saturées de jouets de Simone Le Carré-Galimard les panneaux de bois minimaux de Pascal Verbena ou les architectures de dentelles de Marie-Rose Lortet.
Au bord de l’étang on peut apprécier les personnages célèbres de Camille Vidal, le bestiaire de Jules Damloup inspiré des images de publicité mais on est surtout attiré par le manège de Pierre Avezard, connu comme « Petit Pierre » ( 1909 -1992). Il a vécu toute sa vie à Fay-aux-Loges, dans le Loiret, où il a créé de nombreuses sculptures domestiques et sa célèbre installation faite de tôles découpées, de fils de fer et de peintures aux couleurs vives.
Né avec un handicap congénital dénommé le syndrome de Treacher-Collins, caractérisé par une déformation faciale impressionnante, il n’avait ni palais ni pavillons d’oreilles ce qui fit souvent dire qu’il était sourd-muet, en fait non, mais la communication était difficile, cependant son cerveau n’était pas atteint, loin de là ! Petit Pierre gagna sa vie comme vacher, et consacra tout son temps libre à la construction de machines comme celle permettant de distribuer des betteraves aux vaches. Au milieu des années 1950 son patron lui ayant cédé un petit terrain et une maisonnette, il y installe ses carrousels superposés habités de sujets animés et de véhicules de toutes natures. Il construit même sans aucune aide technique autres que des échelles une tour Eiffel en bois de vingt-trois mètres de haut. Les curieux commencent à s’intéresser à ses installations et il leur réserve une visite dominicale. En 1970, il anime l’ensemble de plus d’une centaine de figures de métal découpé et peint, avec moteurs électriques et système de télécommandes mécaniques.
Son petit frère, Léon, devenu ingénieur aéronautique, l’emmène en voyage tous les ans. A son retour, Petit Pierre construira l’aérotrain d’Orléans, l’Atomium de Bruxelles, le Concorde vu à Toulouse, la Tour Eiffel…
Malgré ses difficultés au quotidien Petit Pierre ne se départit jamais de son humour, qui se manifeste par ses pancartes pour avertir les visiteurs, comme par des dispositifs permettant à une de ses figurines d’ arroser un spectateur trop proche, ou dans cette scène de bal où il se représente en train de danser avec une de ses vaches.
C’est encore son frère, soutenu par le critique Laurent Danchin, qui le sentant vieillir contacte Alain Bourbonnais pour que le manège soit transféré à la Fabuloserie , ce qui sera fait en 1989 après deux ans de travaux de remontage complexes.Au décès du créateur de la Fabuloserie en 1988, son épouse Caroline a continué de gérer ce lieu extraordinaire, ce sont maintenant les filles Agnès et Sophie qui gèrent et animent le lieu. Cette saison 2019 est sous le signe de Petit Pierre dont La Fabuloserie fête le 30ème anniversaire de l’installation du Manège dans son parc. Ce manège est toujours aussi fabuleusement émouvant, surtout quand on connaît les conditions de sa création, mais aussi son pouvoir sur l’imaginaire de toutes générations.