Dans les années 60, Bernard Plossu regardait beaucoup la peinture de Magritte. Pourtant ses photographies feraient-elles preuve de quelques rémanences magrittiennes ? L’affinité entre les images est aussi celle des hommes et ce sont les aphorismes d’Emmanuel Guigon qui, en passeur poétique, nous guide d’une rive à l’autre. Cette nouvelle collaboration entre Plossu et Guigon s’intitule Revoir Magritte et permet au demeurant de revoir l’oeuvre de Plossu.
Le travail de Plossu est immense, l’homme a toujours son Nikkormat autour du cou et se passionne pour les éditions qu’il réalise en grand nombre. Celle-ci est précieuse, parce que l’idée qui la fonde n’a rien d’évident. Si Plossu est souvent présenté comme un photographe inspiré par la Nouvelle vague et donc proche d’une certaine esthétique cinématographique où la vie abonde, la peinture de Magritte lui semble a priori bien étrangère, parce que surréaliste. Il fallait ainsi la complicité de l’œil expert d’Emmanuel Guigon pour le voir et le faire voir. Si Guigon connaît très bien les photographies de Plossu, qu’il a souvent exposées, son premier élan universitaire se tournait vers l’œuvre de Magritte. Les images de Plossu et celles de Magritte ont été sélectionnées avec une grande pertinence pour faire advenir la semblance entre leurs travaux. Le livre de petite taille accueille des images en noir et blanc.
Plus qu’une contrainte éditoriale, on peut y voir un procédé habile parce que les peintures de Magritte dépossédées ainsi de leurs couleurs originelles, se rapprochent des photographies de Plossu. Seule la composition des images devient le critère de proximité entre les deux univers. La mise en page varie, intervertissant à loisir les pages consacrées aux auteurs. Il y a quelque chose de ludique dans cet ouvrage qui ressemble à une enquête. Si les images de Plossu ont peut-être à voir avec celles de Magritte, le renversement n’est pas impossible au sens où les peintures de Magritte ainsi présentées en noir et blanc, toujours dans de très petits formats ont quelque chose de la photographie. La Lumière des coïncidences, Le Monde invisible ou encore L’Empire des lumières ainsi présentés pourraient relever de cet autre médium. Le titre de l’ouvrage renverrait alors à ce piège tendu aux habitudes de notre regard.
Revoir Magritte appréhende en son sein trois régimes de la représentation : la photographie, la peinture et l’écriture. Images et discours sont présentés sur la double page comme une constellation. Dans un premier mouvement, le regard oscille entre photographie et peinture, note semblance et dissemblance laisse la persistance d’une image orienter l’observation de la suivante. Ce livre, comme un film, relève d’une opération de montage qui tisse la rencontre des images. Le texte est le troisième temps de l’équation. Emmanuel Guigon n’explique pas les images, il creuse le jeu qui les sépare. Convoquant Platon, Descartes, Lichtenberg, ou encore Blavier, Fourier et Scutenaire, ses aphorismes nous emportent loin de ce qui est montré, soulèvent des questions pour mieux épaissir le mystère de l’existence, laissent le sourire de l’esprit sur les lèvres. L’écriture dit autre chose que la peinture, qui dit autre chose que la photographie puisque toute identité de la représentation avec son objet est illusoire.