Les artistes d’art contemporain font leur cinéma à Venise

Parmi les nombreux plasticiens qui passent de la photographie ou de la vidéo au film, deux stars de la scène artistique ont été sélectionnées cette année à la Mostra de Venise, Ai Weiwei dans la compétition officielle Venezia 74 et Shirin Neshat dans les Journées des auteurs (Giornate degli Attori) où ils ont présenté en première leur nouveau film respectif.

Après avoir obtenu le Lion d’argent pour son Women without Men, en 2009, Shirin Neshat est revenue à Venise avec Looking for Oum Kulthum, un film dans le film qui montre un double portrait féminin à travers une mise en abyme assez convaincante : Une mère de famille devient cinéaste pour faire un film sur la célèbre chanteuse arabe Oum Kulthum (1900-1975).

Devant choisir entre être une artiste ou une mère, la protagoniste, à travers la mise en scène subtile de Shirin Neshat, nous confronte avec les thèmes de la femme dans le monde arabe. Tout en expérimentant les langages visuels comme elle le fait si bien dans ses travaux photographiques et vidéographiques, Neshat sait aussi utiliser les moyens cinématographiques pour imposer un style qui se veut à la fois plasticien et cinématographe. On est d’emblée projeté dans une ambiance surréelle et magique à travers les longs passages musicaux enivrants mais aussi capté par un certain réalisme que l’aura artistique et politique d’Oum Kulthum fait émerge. Pour dresser ce magnifique portrait de la chanteuse arabe, Shirin Neshat en tant qu’Iranienne, a dû se confronter à une culture et une langue qu’elle ne connaissait que peu. Ceci lui a permis de rythmer son film en gardant une certaine distanciation tout au long d’une vision captivante du point de vue artistique et cinématographique.

En revanche, malgré l’énorme engagement de l’artiste chinois Ai Weiwei, déjà plusieurs fois invité à la biennale d’art, son film Human Flow, en concours pour le lion d’or, n’arrive malheureusement pas à convaincre ni les cinéphiles ni les amateurs d’art contemporain.
Ce documentaire sur le drame des migrants, voire le parcours des réfugiés fuyant les pays en guerre, Ai Weiwei l’a voulu imposant par l’impact visuel des images esthétiquement élaborées et par le symbolisme de sa présence d’artiste contemporain parmi les témoignages recueillis. Tourné dans 23 pays par une douzaine d’opérateurs, y compris le célèbre directeur de la photographie Christopher Doyle et Ai Weiwei, lui-même, le documentaire est un méli-mélo d’images, de textes, de citations quelque peu balourdes et d’interviews convenues.

De même, l’utilisation exagérée des drones pour ses vues aériennes sur les camps et les hommes, version humanitaire de terre vue du ciel d’Arthus Bertrand, ainsi que le parti pris d’entrecouper la trame narrative par ses apparitions narcissiques, parfois grotesques face au destin tragique des réfugiés font de ce documentaire de 180 minutes une tentative échouée de film engagé. Dans sa chronique de film du festival de Venise, Davide Turrini, du quotidien Il Fatto Quotidiano, compare le film de Ai Wei Wei « à un documentaire dans lequel on observe avec un regard pornographique le drame des migrants ». Pour lui, comme pour de nombreux autres critiques italiens Ai Weiwei est tombé dans le piège du bluff éthique et de la récupération artistique kitsch de sujets géopolitiques.

C’est exactement ce voyeurisme qu’on pouvait déjà constater dans ses dernières expositions-installations sur le même thème, comme celle de Foam, en automne 2016, intitulée # Safe Passage réunissant 53489 images de smartphone réalisées en partie lors des tournages du film en question et qu’il a diffusé quotidiennement depuis 2015 via Instagram.

Malgré une forte intensité visuelle, on peut se demander si le film de Ai Weiwei arrive à atteindre au moins un des ses objectifs qui est la prise de conscience de la tragédie des réfugiés. Encore une fois son égocentrisme a provoqué un trop plein qui s’est de nouveau retourné contre lui.
Dommage pour les grandes attentes portées à ce film ambitieux. Le verdict a été sévère en conséquence, les experts l’ont classé en dernier du palmarès des nominés et certains l’ont inscrit dans la rubrique de non-film.
Néanmoins, pour conclure sur une note positive, il faut relever qu’à part, ce faux pas artistique de Ai Weiwei, cette édition a été d’une qualité exceptionnelle. D’excellents films comme Foxtrot de Samuel Maoz dans la section Venezia 74 et Nico, 1988 dans la section Orizzonte, ont été récompensés pour ne citer que deux de la sélection.

De même, cette 74ième Mostra s’était dotée aussi d’une nouvelle section consacrée aux films de réalité virtuelle sous le titre de Venice VR et qui a été présentée sous différents dispositifs. La partie Venice VR Installation a été particulièrement intéressante du point de vue multi-sensoriel et de la perception synesthésique à travers des œuvres comme La camera insabbiata de Laurie Anderson et de Hsin-Chien Huang. Installée sur la petite île Lazzaretto Vecchio, en face du Lido, cette partie du festival consacrée aux réalités virtuelles pouvait être considérée en quelque sorte comme un complément de la biennale d’art contemporain de Venise qui se poursuit encore jusqu’à la fin de novembre.