Le FRAC Centre Val de Loire déborde un peu de son champ de compétence, lié aux rapports entre architecture et art contemporain, pour aborder un sujet plus directement politique avec son actuelle exposition « ALGER Archipel des libertés ».
Les origines algériennes de son directeur Abdelkader Damani ne suffisent pas à expliquer ce choix. Il s’associe avec la critique et historienne d’art Nadira Laggoune qui enseigne à l’Ecole Supérieure des Beaux Arts d’Alger. Tous deux se consacrent à la défense des femmes artistes. C’est ainsi que le responsable du FRAC a créé l’an dernier la très remarquée première biennale d’art contemporain de Rabat qui n’a exposé que les oeuvres de femmes artistes. A Orléans l’actuelle exposition leur laisse une place très importante.
Le présupposé à cette réunion d’une petite vingtaine d’artiste se fonde sur deux pivots de l’histoire algérienne récente : la période postcoloniale autour des années 1970 et la plus récente révolte nationale inattendue de 2019, connue du fait de son caractère pacifiste comme « la révolution du sourire ».
Les deux commissaires justifient la première période en rappelant qu’elle a vu
s’inviter plusieurs mouvements révolutionnaires de pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique et qu’elle a ainsi pris une valeur exemplaire. C’est ce que démontre le projet des Archives des luttes des femmes en Algérie géré par trois artistes chercheuses Awel Haouti, Saadia Game et Lydia Saïdi.
On assiste depuis 2011 dans différents pays émergents à des révolutions et des révoltes endogènes, portées par une nouvelle jeunesse, qui se réapproprie de l’espace public. Ce fut le cas à partir de février 2019 du mouvement du Hirak algérien réclamant particulièrement un changement de régime, mais aussi à des revendications d’égalité quant au genre.
Ce mouvement est illustré par deux séries documentaires en couleur réalisées par des créatrices . Lydia Saïdi dans sa série La prochaine fois le feu s’attache aux mouvements de foule, faisant le lien entre générations, les manifestants arborant les portraits de héros de la guerre d’Algérie. Leïla Saadna Houria photographe et réalisatrice témoigne des luttes féministes durant le Hirak contre le pouvoir mais développe son propos contre les inégalités de genre.
Un autre rappel historique est effectué de façon plus sociétale par Sadek Rahim avec ses photos et vidéo de la série Oasis 228. Il évoque l’édition 1980 du rallye Paris Dakar 1980 pour célébrer la victoire d’un équipage algérien sur un camion fabriqué dans le pays.
Un constat plus contemporain est mené par François-Xavier Gbré qui travaille entre la Rochelle et Abidjan. Sa série de petits tirages couleurs Emergence organisés en constellation montre l’architecture de chantiers sans ouvriers et de quartiers vidés de leurs habitants.
La franco-congolaise Michèle Magema Lipanda mêle pour ses Mémoire des paysages performance-vidéo, dessins et photographies . Si ses oeuvres, dont l’une fait l’affiche de l’exposition, sont présentées traditionnellement au mur et en vitrine c’est une lecture plus spatialisée que nous propose Massinissa Selmani. Son installation Tous les arbres sont des ennemis potentiels crée un espace immersif mêlant dessins documents et objets pour nous suggérer une cartographie des territoires en lutte à déchiffrer.
Cette lutte au féminin convoque avec Fatima Chafaa son hommage justement titré Fragilités à sept femmes violées pendant la guerre, avec l’inscription projetée au sol des dates de naissances et de morts de ces victimes collatérales du conflit. La marocaine Fatima Mazmouz entoure ses portraits de sa sculpture transparente Fil Anthropie de citations de diverses auteures et philosphes. Elle dresse ainsi le portrait de « L’autre corps de la résistance ».
Les liens entre passé et présent sont exaltés dans la vidéo de Marwa Arsanios Avez vous déjà tué un ours ? ou devenir Jamila. Cette performance filmée fait retour sur l’histoire politique et féministe à travers une rencontre avec une militante. A l’accueil de l’exposition une double installation de Zineb Sedira Me tenant là en me demandant dans quelle direction aller fait les liens entre l’espace domestique et l’environnement culturel de ces luttes.
Comme en écho à cette volonté d’ouverture la vidéo Le cortège d’ombres de William Kentridge , célèbre artiste d’Afrique du sud qui est d’abord une métaphore de la politique de l’apartheid, apparait de façon plus générale comme emblème des dérives totalitaires.