Les artistes des Arches, artistes coréens à Issy-les-Moulineaux

Portes ouvertes dans les ateliers des Arches à Issy-les-Moulineaux le week-end du 27/28 septembre 2008.
C’est sous les arches d’un pont ferroviaire qu’ont été installés depuis 2002 une trentaine d’ateliers. La spécificité de cet événement repose sur le partenariat entre le District de Guro, à Séoul (Corée Sud), et la ville d’Issy-les-Moulineaux qui est venue renforcer les initiatives de l’association Sonamou, fondée par un groupe d’artistes coréens et devenue aujourd’hui l’association Les Arches comprenant des artistes de tous les horizons (européens de l’Est comme de l’Ouest, canadien, japonais, mexicain, etc.).

Dans quelle mesure le critique d’art peut-il employer la première personne du singulier dans une réflexion sur une œuvre ? Dans quelle mesure ce « je », « je vois », « je regarde », « je parcours », peut-il échapper au dispositif textuel qui donne à lire l’art dans un protocole conceptuel occidental ? Peut-être est-ce lorsque le « je » est confronté à ce qui excède ce dispositif en question, quand il croise des œuvres conçues depuis un point de vue extérieur, tissant de façon singulière ce qui avait jusqu’alors été maintenu séparé dans l’histoire.

En parcourant les ateliers des Arches et en m’arrêtant tout particulièrement sur les travaux des coréens, j’ai donc ce vague sentiment de reconnaître les éléments éparpillés de l’histoire de l’art – formes, styles, techniques – sans toutefois pouvoir identifier ce qui a pu présider à leur agencement.

Sun-Cheol Kwun peint des visages, à l’huile, dans une gestuelle qui n’est pas sans rappeler les matiéristes des années 50 ; pour lui ces visages sont l’expression d’un reflet intérieur, faisant écho aux masques de douleur apparus avec la guerre de Corée. Je pourrais rattacher son travail à l’expressionnisme allemand, ou encore aux formes décharnées de Bacon, mais l’ensemble des toiles, présentant toutes un visage, comme si le travail était une série qui jamais ne s’épuise, m’interdit l’univocité de ces références. La peinture ici n’est pas présentation du réel mais me semble le lieu où se réitère un rapport fondamental de l’artiste au monde.

Soo-Young Kwak réalise des images où les formes émergent depuis une vibration de sillons qu’il a tracé dans la matière peinte. Les sujets sont classiques, chevaux, façades de cathédrales (évoquant la série de Monet), paysages. Il enduit tout d’abord de couleurs une surface de bois puis il y grave tout un écheveau de lignes venant jouer avec notre perception. Là aussi, ce travail se présente à moi dans un « si loin, si proche ». J’y appréhende de l’impressionnisme mais rien de tout cela ne semble pouvoir venir fonder solidement la genèse du travail. Les sillons éparpillés des tableaux sont un filtre technique si fort avec les éléments figurés que j’ai le sentiment qu’ils sont comparables aux liens brisé avec son pays natal, comme si malgré la différence des sujets c’était toujours la même image qui revenait.

Seock Son réalise lui aussi des images peintes, elles sont composées de rainures de matière plastique, jouant à la manière d’un Agam ou d’un Soto à révéler une forme centrale. Les titres sont ici révélateurs, par exemple « attente »… à l’instar de cette trame, de cette matrice de plastique qui « attend » forme ou motif. A croire que tout se révèle dans « l’ici-maintenant » de la peinture qui sous leurs pinceaux ne renvoie plus à l’absence de l’objet mais sans cesse l’actualise dans l’affirmation de liens, liens perceptifs que le sujet – artiste ou spectateur – entretient avec la matière.

Hye-Sook Yoo présente de grands formats où s’étalent des plages d’un matériau inconnu, mi-organique, mi-végétal, poils et épines confondus dans la même sensation d’attraction/répulsion avec l’image.

Jung Ho-Tai propose des ready-made. Pourtant dans l’agencement des objets ou encore dans l’accrochage des œuvres réside quelque chose de familier, de domestique, de l’ordre du rangement, l’espace intérieur venant dialoguer avec l’espace d’exposition.

Yanghoun No fabrique quant à lui des autoportraits sculptés où le moulage de son visage est déformé à l’extrême, distorsion de soi face au regard de l’autre mais présence avérée de son travail dans le réseau parisien des galeries, à la galerie Guislain, Etats d’art.

Enfin Jae-Kyoo Chong pratique la photograhie et la peinture en les mêlant à une technique très contemporaine, le « couper/coller ». Les images sont divisées en bandes égales pour être tissées les unes avec les autres, provoquant un effet proche de l’art cinétique. Mais la géométrie de ses pièces n’est pas tant l’effet d’une exigence optique que, peut-être, l’héritage littéraire d’un alphabet coréen dont il reconnaît toute la symétrie.

Pour lui, l’art des coréens tire sa spécificité des les différentes recherches visant à occuper l’espace, à inventer de nouveaux all-over, à perfectionner par un travail en série la « redite » de cet espace. Dans la première moitié du 20ème siècle, la Corée a été occupée par le Japon, puis, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, libérée par les Etats-Unis et l’URSS, divisée suite à la guerre de 1950-53 en un Nord et un Sud, puis sa partie Sud lancée dans un défi économique, je comprends alors combien la question de l’inscription dans l’espace peut aux yeux de es artistes être de toute importance.

Et j’essaye d’imaginer combien tout travail artistique peut se constituer comme territoire pour un individu expatrié. Dans Afrique, comment ça va la douleur ? Raymond Depardon termine son film avec un long travelling panoramique sur la ferme de son enfance. Il explique que, dans les voyages au gré desquels il a photographié le monde, il s’est toujours considéré comme « casanier ». Ce souvenir de la maison familiale fait écho au fil des différentes photographies, devenues pour lui autant de lieux habitables, cabanes dont les parois sont mitoyennes à une intériorité et au réel : à chaque paysage un appel à une nouvelle individuation. Ainsi se crée un dispositif intrinsèque à l’image, mêlant un perpétuel décentrement de lui-même, le désir et le devenir, à son ouverture sur le monde.

« Habiter une image », n’est-ce pas prôner un lien primordiale entre sujet et objet, n’est-ce pas nier toute distance réflexive quand à l’objet d’art ? Contrairement au cogito cartésien, veillant à séparer l’observateur de la chose observée, la pensée orientale n’aurait-elle adopté le parti pris inverse, via le Confucianisme, celle d’une fusion entre sujet et objet visant à inscrire l’être dans le miroitement du monde ?

Ainsi n’ai-je pu retirer de ces œuvres que quelques références historiques connues. Mais la présence de ces artistes à Paris n’est pas un hasard. Elle ancre peut-être ces différents éléments et du coup le travail tout entier dans le mouvement de la création contemporaine qui n’a d’histoire que celle de la modernité artistique européenne et américaine.

Les artistes des Arches : Agnès Audras, Jean-Claude Auger, Georges Ayvayan, Lee Bae, Nadya Bertaux, Jae-Kyoo Chong, Philippe Desloubières, Yang Din, Cristina Elinesco, Philippe Fabian, Stéphanie Guglielmetti, Ho-Tai Jung, Tae-Gum Kang, Soo-Young Kwak, Sun-Cheol Kwun, Min-Ho Lee, Françoise Niay, Miwa Nishimura, Yanghoun No, Dong-Il Pak, Normand Paradis, Agnès Pezeu, Christian Renonciat, Karole Reyes, Yi-Seup Ryu, Seock Son, Florentin Tanas, Brigitte Tartière, Anne Vidal, Dusanka Vulovic, Gabrielle Wambaugh, Olga Yaker, Hye-Sook Yoo, Young-Hwa Yoon.