Sur une idée d’Andrea Bellini, cette grande exposition consacrée à la métamorphose réunit grâce à l’apport décisif de Sarah Lombardi (directrice de la Collection de l’Art Brut à Lausanne) de l’art brut avec un art contemporain dont Andrea B. explore les marges et les transitions : vers la mode, le tatouage, l’art décoratif, le design, le jeu vidéo, la vidéo documentaire…Le résultat est séduisant et parfois détonant. L’exposition sera ponctuée de manifestations festives et de projections de films.
La chenille, la chrysalide et le papillon sont les étapes transitoires du devenir de la même créature. Cette image bigarrée du devenir insiste à la fois sur le caractère éphémère des formes de vie et sur leur étrangeté, leur constant devenir-autre.
Depuis Héraclite, le philosophe présocratique du devenir qui affirmait que « on ne baigne jamais deux fois dans le même fleuve », le devenir incessant menace l’idéal de l’identité. Les formes artistiques grecques classiques (architecture monumentale et statues de marbre ou de bronze) étaient conçues pour résister au temps. Cette exposition célèbre au contraire le changement.
Le phénomène « trans »
Dans une métamorphose, les variations peuvent cependant être subies ou bien assumées, voire même choisies. Si l’on veut prendre en considération la question du genre et de sa fluidité, il convient de s’intéresser aux formes artistiques innovantes qui en témoigne. De nombreuses figures s’imposent dans le parcours de l’exposition : Pierre Molinier avec ses travestissements, l’icône du swinging London des années 80 Leigh Bowery – styliste et modèle, performer génial dont les déguisements à la fois burlesques et splendides étaient à la limite de l’art, de la fête et de la mode. Mais aussi Cindy Scherman et bien d’autres – comme la métisse et transgenre Sin Wai Kin, dont une performance montrée en vidéo fait ressentir à la fois le trouble dans le genre et le triomphe de l’artifice.
Dans l’art brut, Marcel Bascoulard, qui vivait à Bourges, se revêtait de robes de femme et se faisait photographier ainsi vêtu. Il en va de même pour le polonais hypertransformiste Tomas Machcinski, qui se déguisait, se grimait et se maquillait outrancièrement pour se photographier dans tous ses états, incarnant de manière ludique une pluralité d’avatars.
Cependant, la métamorphose est un processus global qui ne concerne pas seulement la question du genre. Dans l’Antiquité, avec les métamorphoses d’Ovide, elle s’inscrit dans un univers mythologique où tout est dans tout et réciproquement – un monde onirique où les animaux, les humains et les dieux peuvent se mélanger allègrement. Et la métamorphose y sert souvent de parade pour éviter le viol. La transformation peut aller parfois jusqu’à un devenir-végétal. Se transformer, c’est tendre à se confondre, se fondre dans une nature animée qui cesse d’être l’autre des êtres humains. La métamorphose décentre le credo humaniste : en devenant soi-même une partie de la nature, on cesse de croire en être comme son « maître et possesseur » (Descartes)
Un autre monde possible
Kiki Smith propose d’étranges dessins et des sculptures métamorphiques qui ne sont pas sans un certain charme féérique. Chez les contemporains, les performances et l’aspect ludique de la métamorphose, bien visible dans les avatars des jeux vidéo, insiste sur une tendance à faire primer l’imaginaire et l’image que l’on se fabrique sur une réalité transformée, de plus en plus contaminée par les simulacres.
L’alternance entre contemporains et bruts nous fait reconnaître leur diversité, leur singularité qui tient à leur manière particulière d’être au monde. Parmi les « bruts », on peut découvrir les fabuleuses figures animistes du ghanéen Ataa Oko, qui fut d’abord un menuisier fabricant des cercueils, ainsi que les formes florales étrangement gorgées de vie que dessinait quotidiennement la tchèque Anna Zemankova. Les constructions surchargées de coquillages de Paul Amar font signe, chez ce rapatrié d’Algérie fasciné par l’univers marin, vers l’autre rive de la Méditerranée.
La métamorphose va parfois jusqu’à la mutation quand se produit une transformation radicale où l’être humain devient animal – à la fois burlesque et terrifiante si l’on songe à l’œuvre éponyme de Kafka, ou encore au film La Mouche de David Cronenberg. Mais ce n’est pas seulement notre organisme qui se modifie, qui deviendrait autre, la modification concerne toute notre vision du monde et de la place que nous y occupons.
L’exposition nous invite à traverser une série d’expériences esthétiques afin de nous transformer. Comme le déclare le curateur-concepteur de l’exposition Andrea Bellini :
« Nous proposons à notre public de vivre la grande aventure de la métamorphose, une invitation à voyager dans la chair du monde qui change, et qui en changeant nous invite à nous transformer, à faire évoluer nos croyances, notre vision des choses. » Mission accomplie !