Les dynamiques photo-sculptures de Grzegorz Przyborek, tout un monde

Grzegorz Przyborek est un photographe et enseignant polonais né à Łódź en 1949. Je l’ai connu en tant que résident étudiant étranger à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles en 1990. J’y ai apprécié l’ouverture de sa personnalité son engagement artistique et sa grande capacité de travail plastique. Il développe depuis quelques temps une intense activité d’exposition et de publication dont la rétrospective « Silence » qui a eu lieu dans le cadre du Festival international de photographie 2023 de sa ville natale.Son livre publié à cette occasion permet de prendre conscience de l’originalité et de l’importance de son oeuvre si dynamique entre photographie et sculpture.

Dans l’œuvre de cet artiste l’énergie circule entre les suspensions d’objets et les défilés de figures animales ou humaines. Il y a des envols simulés et des ancrages inscrits dans les sols. Animaux et plantes y vivent sous la domination des vents stimulés dans l’atelier. Photographies et sculptures se développent presque exclusivement dans ce même atelier. Pourtant la photo de couverture et le titre de son livre s’annoncent « Emmêlés dans la vigne sauvage ». Ce livre se veut dépositaire de la vie et l’oeuvre de l’auteur. Son titre fait référence à l’enfance et à ses « Jardins oubliés », premier chapitre de son retour sur sa biographie.

Il revisite ces années de formation dès 1992 de retour dans son pays avec sa série Civilisations. Il détermine ainsi sa méthode : « Je ne voulais pas qu’une image devienne plate et sans ambiguïté ou, mieux encore, qu’elle soit littérale. Être littéral signifie un manque de capacité à comprendre les relations entre un objet photographié et son environnement. » Son univers imaginaire fait que chaque création dans sa complexité est précédée d’un croquis première incarnation de l’image qui en trace les grandes lignes : « Ces dessins me permettaient de réfléchir à la composition d’une photographie, à l’agencement des lumières et à la construction de l’image. Le dessin est la trace la plus rapide d’une pensée. Ensuite, j’ai construit des objets photographiques. »

Invité par Inka Schube, conservatrice de la galerie « Brottfabrik » à Berlin en 1994 à une exposition de protestation contre la guerre en ex-Yougoslavie il élargit sa réponse en images à « la paranoïa de la civilisation humaine déformée » en titrant sa série Hotel Europa.Toujours très créatif dans sa titraille deux images de cet ensemble s’intitulent ainsi Deux théories de l’immortalité de l’âme et Mr Egomaniaque et Mr Egoïste. Une autre oeuvre très engagée s’est faite à l’invitation de Institut Historique Juif de Varsovie J’exclus l’exclusion. Cette installation présente un face à face dramatique entre photos et sculptures.

Il théorise ainsi ce rapport des deux arts : « La photographie est plus proche de la sculpture parce qu’elle travaille dans l’espace et l’utilise. Même si une image photographique est un plan, elle est créée dans l’espace et utilise tous les éléments typiques de l’espace – la perspective et les relations d’angle et de point de vue. La matière de la photographie est l’espace. »

Les formats de ses images sont souvent étendus jusqu’au panoramique pour mettre en scène une dynamique. On assiste ainsi à un défilé dans 44 Gymnastes dans le sein de la Nature , on s’y sent partie prenante d’Un Mécanisme pour Sortir de la Dépression , on y entend le bouleversant cri matérialisé d’un Cantus lamentus. Pour échapper à la pesanteur, à la condition humaine le photographe est obsédé par le vol et ce depuis une de ses dernières créations arlésiennes Table pour la préparation d’objets volants ; il y est revenu ensuite grâce à la tentative singulière d’envol , avec un balai de sorcière qu’il intitule paradoxalement Flight-less.

En introduction Grzegorz avouait « Toute ma vie, j’ai eu l’impression d’être un vagabond. Ma vie a été remplie de transitions constantes » mais il faut corriger ce ressenti par sa relation permanente au monde d’un art sensible, pour le rendre plus évident il multiplie les détails pittoresques, l’humour et les sous-textes poétiques . Pratiquement il opère par cette succession d’opérations techniques :« un objet corporel associé à une image photographique, puis photographié à nouveau, ajoute un soupçon de mystère, une relation ambiguë, qui oblige le spectateur à se poser des questions. »

Ces oeuvres mixtes par leur poésie plastique supposent donc un spectateur ouvert aux Utopies , d’où cet envoi « Je dédie mes photographies à l’illusion, à la vision, au sublime . Je les dédie aux gens – rejetés, laissés pour compte et méprisés. Des personnes honnêtes et ouvertes. Je dédie mes photographies aux rêveurs. »