Deux mots pour présenter Sometimes… J’ai crée les éditions « Charlotte Sometimes » (aujourd’hui « Sometimes ») en 2014, une maison d’édition qui me permet de faire exister les livres de photographies dont je rêve lorsque je découvre le travail de tel ou tel. Car un livre ne sera beau qu’à la condition de prolonger la voix des photographies à la façon de l’écho, en montagne. Le choix du papier, de la typographie, de la mise en page, de la reliure… tout cela doit contribuer à préciser la pensée particulière d’un travail photographique, sa personnalité. Une page est une image. Un beau-livre doit être une parfaite « machine à lire ». Il doit permettre de donner à l’ordinaire un sens élevé, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini. Charlotte Guy

Quelle est votre situation économique actuelle suite à la pandémie ?

Charlotte Guy : Les éditions Sometimes (comme d’autres structures) répondent à un modèle économique différent de ceux de la grande industrie du livre qu’on imagine, modèle un peu alternatif (bref, on est pas Gallimard). Evidemment suite au confinement on a constaté un trou financier. Il y a eu moins de ventes en direct ou en librairies, des salons et des rencontres annulés, et des frais. Mais qui aurait pu le prévoir ? Les circonstances sont les mêmes pour tous, plus difficiles pour d’autres encore. Cela nous a tous secoué, mais on va se remettre.

Quelles précautions avez vous prises pour répondre aux menaces sur le secteur ? 

Charlotte Guy : Aucune en particulier. J’ai continué à travailler sur les livres en cours, on a pris la décisions de reporter des parutions avec des auteurs, j’ai lancé un appel à participation pour le montage d’un nouveau livre collectif.

Quelles sont les collections qui marchent le mieux ?

Charlotte Guy : On a 3 collections, une dédiée à la photographie et l’architecture « Collection Sometimes » dont le premier livre a reçu un super accueil (The Lying Forest), une nouvelle qui s’ouvre aux arts qui ne sont pas photographiques et une petite collection dont on parlé juste avant : She’s Lost Control, on a déjà édité deux volumes, on investit les archives de collectifs photo, pour le troisième volume on part d’une thématique « le cheval » et on constitue un corpus d’images grâce à un appel à participation (et merci encore à tous les participants pour la confiance et l’enthousiasme !). Tout ça pour dire que nos collections sont très différentes, et chacune a son lectorat, elles fonctionnent toutes dans leur genre.
 
Quels sont vos livres phares ?

Charlotte Guy : Les She’s Lost Control sont des petits objets abordables pour lesquels on a facilement un coup de cœur je crois, on peut se raconter plein d’histoires en les feuilletant. Il me semble que le livre Sinjar naissance des fantômes de Michel Slomka est recherché aujourd’hui, comme éditrice c’est en particulier vers ce genre de projet que je souhaite orienter le catalogue plus spécifiquement, des documentaires avec une matière hétérogène qui interrogent la mémoire, les conséquences de la violence.

Quels sont vos projets dans les 6 prochains mois ? 

Charlotte Guy : On a un joli dernier, paru début mai qui rencontre le public : Faire la vie d’Arno Bertina, un projet que je suis assez fière de présenter car il est un peu différent des autres, un livre photo qui n’est pas celui d’un photographe, mais qui compte dans son aspect « document », dans ce qu’il dit de la photographie.
Donc un troisième volume du She’s Lost Control en préparation, dont on débute à peine l’esquisse.
J’envisage aussi la réédition de « Sinjar », augmentée, différente.
Et ! une belle parution à venir : le livre Aître Sudète de Philippe Dollo. En tant qu’éditrice c’est un peu une gageure puisqu’il s’agit d’éditer un livre d’artiste (qui existe et qui est impressionnant) en une édition courante. J’ai rencontré – et vu cette maquette – il y a 5 ans environ, en lecture de portfolio : j’avais dit à Philippe « en l’état, à l’identique c’est impubliable, personne ne le fera ainsi, ça serait trop cher, il faut le réinventer et ce n’est pas simple car comment garder la sensualité de l’objet, les collages, les vieux papiers. Etc. » Depuis ça m’a toujours trotté dans la tête jusqu’au moment où je me suis sentie les épaules pour y travailler et aller au bout. Et on a réussi ! On a le livre, on affine la fabrication.

Quelles sont vos rapports avec les diffuseurs et distributeurs ? 

Charlotte Guy : Les éditions Sometimes sont en autodiffusion. Nous n’avons pas de diffuseurs donc , on traite directement avec les librairies. On a des points de ventes privilégiés à Paris, Marseille, Montpellier, Bruxelles, mais on peut travailler ponctuellement avec n’importe quelle librairie. On assure en interne le même travail que le diffuseur ! C’est assez courant comme choix et donc comme d’autres structures on nourrit une forte interdépendance avec la librairie indépendante, qui a un rôle de passeuse pour notre catalogue, et ayant nos livres cela leur permet peut-être de se démarquer, d’enrichir leur proposition.

Attendez-vous une réaction et de l’aide du Ministère de la Culture ?

Charlotte Guy : Le CNL a mis en place une aide exceptionnelle pour aider les maisons d’édition pour faire face aux conséquences économiques du Covid. A ce jour je ne sais pas si les éditions Sometimes répondent aux critères d’éligibilité.
J’ai été signataire d’une tribune qui interroge un peu le modèle et qui peut donner à voir à quoi ressemble l’édition en France : https://www.humanite.fr/nous-sommes-en-crise-des-maisons-deditions-independantes-prennent-la-parole-688493
Je m’interroge sur le fait que le gouvernement réussisse à soutenir à hauteur de 7 milliards ( ?) Air France, mais pour la Culture, la Santé, cela semble moins évident. Il existe une vraie misère sociale, et une misère culturelle qu’on pourrait alléger peut-être plus facilement, avec moins, et dont les bénéfices seraient plus grands.

Qu’attendez-vous des critiques d’art ? 

Charlotte Guy : Je viens de publier un livre Marlène Mocquet et la critique d’art, alors je vais me permettre de citer Numa Hambursin dont j’apprécie la conception : « Je rêve d’une critique de l’art contemporain qui exposerait ses doutes, sa fragilité, ses faiblesses, son ignorance. » Je rejoins Élisabeth Couturier, Présidente de l’AICA France pour qui « Numa Hambursin montre à quel point mettre des mots sur une œuvre que l’on admire et soutient reste un exercice qui ne convoque pas seulement une bonne connaissance de l’histoire de l’art, un amour pour la littérature et la poésie, mais nécessite aussi d’aller fouiller dans ses propres archives sensibles, de laisser émerger ses émotions enfouies et d’écouter les impressions sourdes qui nourrissent le tête-à-tête avec une œuvre d’art. » 

Comment percevez-vous vos lecteurs et leur évolution ?
Charlotte Guy : Il me semble que le lectorat s’est élargi un peu plus chaque année, il m’apparaît assez hétéroclite. Grâce aux réseaux sociaux (Facebook et Instagram) on peut avoir une petite idée de qui nous suit, et parfois de qui lit nos livres 😉

Comment vivez-vous le rapport aux bibliothèques ? 

Charlotte Guy : Les bibliothèques sont hyper importantes, je ne vais pas trop développer ici mais disons qu’elles permettent à ceux qui lisent des livres d’en lire plus et à ceux qui n’en lisent pas encore d’en découvrir, à moindre frais. Acheter un livre à un prix, ce n’est malheureusement pas accessible à toutes les bourses. Avec Sometimes on essaie de rendre le beau-livre accessible, pour laisser la place à la curiosité, décomplexer l’achat. Les bibliothèques sont des passeuses aussi.

Comment envisagez vous le rapport papier / électronique ?

Charlotte Guy : Un livre est linéaire (tu tournes les pages), avec le numérique on peut utiliser l’hypertexte et partir dans plein de sens, ça change le rapport à la lecture. Comme lectrice je dois dire que je lis peu en numérique, je préfère le papier, et comme éditrice, la contrainte que représente le support du livre me passionne toujours. Néanmoins je pense qu’il y a encore des expériences à mener avec le numérique, cela en renfort du papier. Cela ne peut pas correspondre à tous les projets bien sûr, mais il faut sortir de cette dualité papier/numérique.