Les espaces ruraux au féminin pluriel d’Allons voir

Au nord du Cher se trouve ce territoire dit du Pays Fort remarquable notamment par son patrimoine rural local avec des granges pyramidales, anciens espaces de stockage aux impressionnantes toitures datant du XVIe siècle. On peut y voir tout cet été dans quatre communes la deuxième édition de la manifestation d’art contemporain « Allons voir », organisée en partenariat avec l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges et le Fonds Régional d’Art Contemporain Centre-Val de Loire.

Les initiatives artistiques en milieu rural se sont multipliées depuis une dizaine d’années. On doit citer les actions de Rurart en Poitou Charente, en Bretagne les photographes profitent du Festival de la Gallicy, tandis que peintres et sculpteurs exposent pour l’Art dans les Chapelles. Il faut depuis l’an dernier citer l’excellence du Champ des Impossibles dans le Perche dirigé par Christine Ollier . Le Vent des forêts  organise depuis 1997, dans six villages agricoles et forestiers du département de la Meuse des résidences annuelles pour une dizaine de plasticiens internationaux. D’autres résidences celles des Fermades dans le Vercors voient les artistes accueillis dans des exploitations agricoles.

Allons voir ! est organisé par Jean-André Vialla qui réside dans la Région et qui chaque année fait appel à une commissaire responsable de la programmation.La première édition sur le thème « allons voir et sentir la terre » avait pour curatrice Sandrine Moreau à l’époque, directrice du Centre d’art de Nanterre et qui a été depuis nommée conseillère à la DAC Guyanne.
On pouvait y apprécier une vidéo de Florence Chevallier Amour utile, les interventions pseudo-picturales de Christophe Cuzin mettant en valeur l’architecture externe des granges pyramidales, les céramiques d’Olivier Leroi et d’Hervé Rousseau. Parmi les étudiants diplômés de l’ENSA de Bourges on pouvait apprécier les impressions sur bâche de Louise Melon jouant de l’échelle et de la monumentalité pour des mixtes architecturaux d’une grande puissance.

Lucile Encrevé est docteure en Histoire de l’art contemporain et critique d’art, elle enseigne à l’EnsAD à Paris où elle intervient en Design Textile et de manière transversale. Spécialiste de l’abstraction, elle s’intéresse aux liens entre art et arts décoratifs et design. Elle a écrit notamment sur Florence Chevallier, Isabelle Le Minh ou Dominique De Beir (née en 1964) qu’elle expose ici dans deux lieux pour cette édition sur le thème « Une échappée ».

En dialogue avec la porte constellée de trous de la grange du Joliveau elle propose une installation minimale faite d’agressions de la surface d’un papier mat sur une face et brillant au verso à l’aide d’ un outil de chirurgien.
Cette oeuvre impossible à reproduire est à découvrir dans la pénombre du bâtiment, elle oblige à un exercice méticuleux du regard pour appréhender les échanges lumineux.

C’est une autre porte, La Porte d’Optat qu’Ingrid Luche (née en 1971) a déplacé jusqu’au milieu d’un champ, à l’extérieur de la pyramide principale de Vailly, cette sorte de ready made arrangé manifeste une grande puissance poétique en nous interrogeant à la fois sur la nature du patrimoine et sur notre relation à l’espace naturel.

D’une autre génération, Nadia Pasquer née en 1940 produit des sculptures de terre modelée, polie et enfumée. Son installation la plus convaincante suspend selon les quatre points cardinauxces modules gravés et perforés autour d’un poteau porteur de la bergerie du Moulin Riche. La puissance évocatrice de cette suspension est liée à l’astronomie comme le signale la reproduction d’une gravure ancienne montrant l’étoile polaire et son rôle premier. Cette oeuvre comme beaucoup autres a été produite spécifiquement pour la manifestation.

Sur le même site l’installation sculpturale est encadrée par deux travaux d’étudiantes diplômées de l’Ecole d’art partenaire, eux aussi réalisés en dialogue avec le bâtiment rural. Sous l’auvent où elle a rapporté ou trouvé une immense roue de charrue Lou Froehlicher constelle le mur extérieur du bâtiment d’une série de très petites gravures numériques sur aluminium
installées à différentes hauteurs en constellation. Ces oeuvres à la limite de l’abstraction, revendiquant par leur titre Dièse un héritage de portée musicale constituent autant d’évocation du cosmos dont le mur occupe la position de carte céleste.

A l’intérieur dans la pénombre entourant divers objets traditionnels de bois utilisés en agriculture Tifaine Coignoux accroche ses impressions photographiques sur textiles et objets de la série Container nuage, 2020. Le dialogue de ces images matiéristes issues de la nature avec le local dédié à la mémoire des pratiques rurales est tout à fait riche et comme beaucoup d’oeuvres de cette édition nous incite à un regard dédié.

Le FRAC Centre Val de Loire , fidèle à sa spécialisation a prêté une oeuvre de l’architecte d’origine espagnole Maria Mallo ( née en 1981). Germen Radiolario, 2009, calcaire et fer , au centre d’une structure métallique icosaèdre une forme énigmatique, en calcaire, semble flotter. L’artiste s’appuie sur la structure de microscopiques organismes marins unicellulaires. Le déplacement du spectateur autour de l’objet que sa constitution pseudo circulaire encourage laisse deviner une forme clairement foetale.

L’autre artiste d’origine étrangère de cette programmation est la designer anglaise d’origine Heidi Wood (née en 1967), elle opère devant plusieurs des sites grange, silo ou gite rurale un balisage de piquets de chantiers de petite taille. Chacun d’entre eux porte un pictogramme qui explicite l’usage possible du lieu et sa fréquentation. Leurs couleurs rouge , blanc et noir sont celles de la signalisation, on pense à l’utilisation féministe que Barbara Kruger en a fait. Mais les messages ici sont moins provocateurs, telle cette critique des relations stéréotypées entre ville et campagne. Certains de ses piquets sont dotés d’un QR code qui apporte des informations supplémentaires.

Le choix des architectures rurales hors de tout bâtiment officiel ou religieux, la production d’oeuvres spécifiques réalisées in situ, le choix d’artistes de différentes générations font tout l’intérêt de cette manifestation d’une réelle exigence.