Invitée par la Villa Pérochon (Centre d’Art Photographique Contemporain) La Maison François Méchain (lieu de résidences d’artistes et d’écriture en Charente-Maritime) a présenté le travail de Véronique FRAMERY (alias MissV) qui a été résidente de la MFM au cours de l’été 2021.
L’exposition s’est tenue à l’Espace Grappelli à Niort pendant les Rencontres Internationales de la Jeune Photographie.
L’artiste a présenté une œuvre qui décline un rapport passionné à la photographie, à l’image argentique, au noir et blanc : sténopés négatifs et positifs en particulier, de divers formats (du plus petit au plus grand) disent le miracle toujours à l’œuvre de la lumière.
Quelques mots de MissV et de sa relation singulière à l’image argentique :
Je suis en quête d’une image fantôme, d’une image manquante. C’est l’image à venir, celle qui n’a pas encore été faite qui m’attire, l’inachevé… En ce sens, le dernier texte d’Hervé Guibert me parle profondément. D’une manière générale je me suis aperçue que je pénètre presque toujours une œuvre à travers sa dernière pièce ; mais ce n’est qu’après coup que je le découvre. C’est sans doute lié à une idée de disparition. Ce qui est latent dans l’image à venir, dans le négatif, est sans doute pour moi la part la plus importante de la photographie argentique.
J’utilise la photographie comme manière d’écrire et d’offrir un support à l’image latente.
Comme une percée dans un autre monde, l’image fantôme me permet de faire la lumière sur des âmes qui m’apparaissent et me laissent muette. Je recherche cet instant unique, l’apparition de cette chose imaginée, puis tente de la révéler, la maintenir en vie, en lumière.
Si j’ai tout fait pour éviter l’accident, aujourd’hui, dans le silence de la chambre noire, je l’attends.
Landscapes 1, 2 et 3, 30 cm x 4,60 m / 30 cm x 4,95 m / 30 cm x 5,80 m, 2018 Dans cette série de grandes bandes, l’artiste aborde la campagne environnante : faire paysage, telle serait ici la question…
Le paysage, un sujet de prédilection ancien pour les artistes. Comment s’en saisir ?
MissV témoigne ici de la nécessité intérieure qui fonde ce travail : soit une série d’images du même motif, prises en continu avec un appareil panoramique à sténopé, chargé d’un film argentique en noir et blanc qui a été avancé manuellement, sans respecter les repères précis d’espacement des clichés. Certains d’entre eux se superposent volontairement un peu. Il en résulte une bande continue d’images dont le négatif final a été développé, scanné dans son intégralité puis imprimé.
Le panorama qui s’offre à nos yeux témoigne d’une charge poétique évidente à travers une tentative peut-être d’épuiser son sujet : la campagne, les nuages, le chêne… où l’on pourrait, entre autres, se souvenir de la leçon de Morandi ; la répétition inlassable dans sa peinture du même motif de nature morte a-t-elle jamais tari son regard ?
Et puis en écho, comme une basse obstinée, la photographe devant le paysage, photographiant inlassablement la même chose, à chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre pour reprendre les mots de Verlaine, comme un entêtement à voir : l’arbre, le ciel, l’horizon…
L’arbre 9 fois
Le ciel 7 fois
L’horizon 3 fois
Le champ 4 fois
La neige 5 fois
La terre 6 fois
Les nuages 8 fois…
L’observation attentive d’un paysage qui devient panorama, révélé par la lumière qui affirme sa présence pure. Entre cinéma et photographie, la mouvance immobile du monde, traduite en images par l’attention infatigable d’un vrai regard, présence réciproque du sujet et de l’objet.
Paysage à regarder, paysage qui nous regarde…
Forest, Vidéo en boucle 11 mn, 2021
Cette œuvre rend compte d’un travail réalisé pendant le confinement. Ne pouvant sortir pour aller tourner de nouvelles images, MissV a réalisé cette vidéo à partir de photos en noir et blanc faites au préalable en forêt qu’elle a re-filmées.
L’artiste a toujours entretenu une relation ambivalente avec les arbres et les bois : à la fois refuge et source de rêves comme dans les contes de fée et en même temps, lieu inquiétant, source de hantise, propre à cristalliser nos peurs les plus primitives et archaïques. Un rapport obsessionnel à la forêt habite cette œuvre : accepter d’y être happée et s’en échapper en même temps. Quelque chose m’attire et m’inquiète à la fois dit l’artiste. Des images subliminales (yeux et portrait de l’arrière-grand-mère) peuplent la vidéo et achèvent de donner corps à cette attraction/répulsion pour la forêt. Rien n’y est vraiment explicite, à la manière du film Le Projet Blair Witch ; tout reste dans la suggestion et l’implicite. Comment par ailleurs ne pas voir dans cette quête de l’intranquillité un lien avec l’histoire des bois d’Oradour-sur-Glane où MissV est née et a grandi ? Qu’ont vu ces arbres ? De quoi ont-ils été témoins ?
La bande son reprend le chant d’un oiseau enregistré mais passé à l’envers, référence à la pratique du Back Masking des années 80 qui incitait à écouter des bandes musicales inversées dans l’espoir d’y entendre un message caché. Le refrain mélodieux devient ici un bruit désagréable qui souligne l’aspect biface de toute chose.
L’installation englobe deux chaises, l’une noire, l’autre blanche et invite le spectateur à se fondre dans la projection et à s’immerger dans les images et l’atmosphère de l’œuvre.
Fenêtre sur… Série de photos anciennes noir et blanc, glanées aux puces de Turin, scannées et recouvertes d’une plaque mortuaire (sténopé film imprimé au gélatino bromure d’argent sur plaque de verre), 2018.
La série est constituée de petits scans, positifs et négatifs sur papier, présentés en transparence sur la fenêtre, un peu à la manière de vitraux en noir et blanc. Fragments du réel, petites captations de lumière, traces fugaces d’un regard, sans échelle véritable, ils rendent hommage à leur façon aux fondements du medium photographique : la lumière et son réfléchissement sur les choses, les êtres et les objets.
Suspended time, Sérigraphie au charbon de bois sur papier et eau, 30 cm x 30 cm x 15 cm, 2017
L’image sérigraphiée à la surface de l’eau avec de la poudre de charbon de bois sur des fragments de papier, flotte sur l’élément liquide : figure éphémère d’un portrait qui va lentement s’enfoncer dans l’eau. Trace mémorielle, elle nous parle du temps qui passe à travers l’évanescence du visage qui s’affirme à mesure que l’image s’altère. À la fin de l’exposition, les papiers portant les traces de visage pourront être récupérés au fond du bac ou bien prélevés par contact à la surface de l’eau avec une nouvelle feuille de papier (cela dépend du niveau d’évaporation du liquide).
Ce portrait d’un jeune garçon dialogue avec celui de la femme, présenté au plafond, conçu à l’origine comme un autoportrait mortuaire reprenant les codes traditionnels des portraits funéraires du Fayoum, visages peints du vivant des commanditaires, sur une planchette de bois, destinée à être fixée sur le cercueil une fois la mort venue.
En créant, à partir d’un autoportrait en photographie, une image sérigraphiée sur toile de lin avec du bitume de Judée, MissV se souvient de cette tradition picturale mortuaire. Ce matériau a été employé à la fois dans la préparation des fonds noirs des toiles peintes depuis la Renaissance et par Nicéphore Niepce dans sa première image sur plaque en métal, fondatrice de la technique du medium photographique (Point de vue du Gras, circa 1827).
MissV effectue ici des va-et-vient constants et conscients dans l’histoire des images et celle de la peinture. L’image présentée au plafond est une variante du procédé original de son premier autoportrait mortuaire : il s’agit à Grappelli d’une sérigraphie à l’encre de chine sur papier à dessin.
L’artiste, répondant à l’origine au prénom de Véronique, revisite au passage l’origine de son nom : vera icona (la vraie image) et l’histoire des saints suaires montrant, entre autres, l’image du visage du Christ, miraculeusement imprimée sur un tissu (images dites « acheiropoïètes », c’est-à-dire faites sans l’intervention de la main humaine).
Mère et fils réunis dans cette œuvre à travers une même vanité en devenir.
Window, photo numérique noir et blanc sur papier Watercolor, 156 cm x 104 cm, 2019
Cette image pose pour le spectateur la question du dehors/dedans et de la dimension picturale véhiculée par la photographie. Interrogation ancienne concernant ce medium, apparue dès les fondements de son histoire et plus particulièrement creusée ensuite avec le mouvement du pictorialisme. Window pose à la fois la question de la place du spectateur -son point de vue physique- et celle de la transcription du monde réel dans l’image captée par la prise de vue : la peau des choses matérialisées par la lumière.
[Just] Kids
Cette série photographique à quatre mains, engagée sur toute la vie et réalisée avec Clément Delpérié, court depuis 7 ans maintenant.
Un protocole semblable est proposé à tous les jeunes modèles : le même siège pour tous, le même tableau noir retourné pour fond ; pas d’accessoire, un cadrage en plan rapproché ou demi-rapproché, et des clichés réalisés dans le cadre de l’établissement scolaire fréquenté. 30 modèles se sont succédé depuis 2019. Il y en avait 80 à l’origine en 2016. Les poses prennent forme à travers un triptyque final de 30 x 90 cm, chaque image de 30 x 30 cm correspondant à une étape précise de la scolarité : 6ème, 5ème, 4ème…
Le film noir et blanc de la pellicule est volontairement oublié après les prises de vue ; les images, non développées connaissent ainsi un temps de latence pour celle qui photographie et pour ceux qui ont posé devant l’objectif. Les portraits de 2016 n’ont ainsi vu le jour qu’en 2018. Ce rapport décalé au temps fait partie du dispositif : écart entre l’image de soi à un moment donné et celui du regard que l’on porte dessus ultérieurement. Comme une faille temporelle qui cristalliserait mieux l’être et le ça a été ainsi que l’étonnement qui va souvent de pair avec la découverte de l’image de soi : est-ce bien moi là, par trois fois, sur la photo ?
En 2023, il est prévu de montrer la dernière série révélée (3ème, 2nde, 1ère, Tle).