Les fictions de la bande-images

Le Musée de l’Elysée produit avec un nouvel éditeur arlésien se dévouant à l’image, Photosynthèses, un livre de référence sur l’esthétique du photomaton. Ce catalogue de l’exposition qui vient de se terminer à Lausanne allie sérieux de la recherche et bonheur d’une pratique amateur souvent récupérée par les artistes.

Sam Stourdzé nouveau conservateur du Musée suisse a montré dans les trois numéros parus de l’excellent revue Else qu’il a initié son intérêt pour une image dite sans qualité. Accompagné par Clément Chéroux, conservateur au Centre Pompidou, et Anne Lacoste ils nous proposent un périple aussi appliqué que ludique autour de l’objet qu’est la cabine d’où le titre Derrière le rideau. Ce lieu envisagé comme espace social ou au contraire à privatiser y est montré comme scène de mini-performances où l’on se joue de l’identité, du lien à l’autre. La bande de quatre images constitue une séquence bien évidemment temporelle ou plus curieusement spatiale.

Cette image miniature née à l’époque des avant-gardes provoque l’intérêt, la convoitise et en conséquence toutes les actions artistiques possibles d’appropriation et de détournement.
Deux mouvements importants du XX° siècle s’y sont consacré avec un certain systématisme. Les surréalistes y ont vu une application à l’image de l’écriture automatique et la potentialité de jeux identitaires individuels et de groupes. L’une des plus belles réussites en est cette pièce On ne voit pas (la femme) cachée dans la forêt .

Intéressés aussi par les transpositions mécaniques de l’image les pop artistes autour de Warhol et de sa Factory y ont trouvé matière à exalter le quart d’heure potentiel de gloire de chacun.

Les autres artistes présents dans cette sélection ayant travaillé à partir des année 70 sont moins souvent reliés à des écoles, époque oblige. On y retrouve bien sûr les premières adeptes des interrogations sur le genre, ses clichés et leur remise en cause, Cindy Sherman Susan Hiller, pour le féminisme ou Gilian Wearing dans sa version post. Pour interroger la masculinité à travers leurs autoportraits on peut faire confiance à Arnulf Rainer ou Jurgen Klauke , revoir de ce dernier Les représentations sociopsychologiques de la figure humaine de 1976.

La cabine photomaton accompagne les interrogations conceptuelles du théoricien et plasticien italien Franco Vacari, puisqu’elle accueillait à la X° biennale de Venise sa Première exposition en temps réel.

Plusieurs artistes collectionneurs dans la lignée de Joachim Schmid montre leurs plus belles de photos trouvées, chimiquement ratées ou volontairement déchirées.

Deux très jeunes artistes françaises jouent de façon ironique avec leur identité, Sabine Delafon depuis 2005 Cherche sosie tandis que Valentine Fournier dans une toute récente série double le photomaton par un portrait dessiné à l’aide de points , pratique ludique qui renoue avec certaines œuvres d’Andy Warhol.

Deux ensembles utilisent les paramètres sériels du photomaton pour des fictions complexes. Il est heureux que le livre nous donne à relire les Topor-Maton datant de 1967-69. L’humour acide de l’auteur y construit des mini-histoires en quatre images légendées.

Jan Wenzel quant à lui éclate les dimensions de la bande images en construisant directement dans la cabine des polyptyques complexes manifestant une étonnante intelligence du rendu de l’espace.

Pour conclure la lecture de ce passionnant ouvrage on peut consulter la très complète filmographie qui raconte le pitch de 25 œuvres du 7° art où la cabine automatique devient un protagoniste de l’action dramatique.