Guidant l’humanité auréolée de mystère, l’eau est une flammèche qui devient sang et cycle, reliant le premier cri de l’homme hors du ventre, à la mort dans le tombeau de la montagne. Cécile Carrière est l’une des sept lauréates, du prix décerné aux Talents contemporains par la Fondation Schneider de Wattwiller, consacrant ses recherches curatoriales au thème de l’eau. Une série de dessins intitulée Barques, née d’une image des Contemplations de Victor Hugo a permis à la jeune artiste de se distinguer.
Sous les Barques, l’eau, bleue, rose ou grisâtre est cet élément qui tisse un lien entre les hommes, les poussant vers leur destin aveugle, rassemblés dans le temps suspendu de l’exil ou de la migration. Les êtres s’emmêlent, partagent dans l’embarcation de fortune les mêmes affects incertains. Si la série Barque peut rappeler les mouvements migratoires dans le contexte géopolitique actuel, les embarqués de Cécile Carrière tiennent de l’universalité du mythe.
Palmiers, montagnes, traversées empruntent aux symboles bibliques, sans qu’aucune narration identifiable ne puisse s’y rattacher explicitement. Les figures dans leur oscillation fluide sont oniriques dans la mesure où elles disent quelque chose de nos angoisses collectives et inconscientes. Déformation, frustration, castration, dévoration, les têtes se coupent, les ventres gonflent, les fœtus se nourrissent de leur matrice.
Les séries les plus récentes : Maternité blanche, Maternité noire, Mama Mountain en témoignent, le travail de Cécile Carrière est éminemment féminin. Quelque chose de la génération s’y joue à répétition. Glissement liquide, la cuisse devient ventre échevelé. Les visages aux regards évidés de leurs prunelles se transforment en bouches baveuses et chevelues. La mère tient l’enfant, ne détourne jamais le regard de son petit corps contorsionné et dépendant.
On pense à la tendresse moelleuse de Paula Moderson-Becker, aux souffrances de Frida Kahlo, à l’angoisse de Louise Bourgeois. Les dessins de Cécile Carrière mettent en scène le pouvoir de la mère, sa puissance fusionnelle à jamais renouvelée, entre les tracés appuyés et énergiques et les méandres aqueux de l’aquarelle. L’œuvre et la vie se confondent sans fausse pudeur, tandis que le corps féminin est poussé aux limites de sa chair bourgeonnante.