Un projet artistique peut se définir grâce à sa capacité à répondre par des solutions techniques aux urgences des choix tant esthétiques qu’éthiques de l’artiste. Alin Avila en fait la démonstration en publiant la monographie de Michel Houssin abondamment illustrée et scandée par la sérialisation de ces choix développée dans son journal.
Son titre « Dessiner le fil avant les hirondelles » nous place immédiatement sur le motif où il aime se rendre, dans sa Bretagne natale comme dans sa Provence d’élection. Les photos d’Hannelore Stessel en couverture apportent à cet in situ le contrepoint pratique en nous désignant l’atelier comme lieu de rencontre du corps du modèle et de celui de l’artiste.
Michel Houssin travaille le plus souvent en séries qui co-existent dans le temps. Comme pour justifier ou excuser l’intelligence sensible de son trait, il revendique toujours de complexes protocoles, généralement liés à des challenges autour du grand nombre de pièces à produire ou à des laps temporels nécessaires à cette production. A lui de déjouer dans son patient et quotidien travail de dessin ces contraintes en en repoussant les limites expressives : « Difficile de dessiner des yeux bleus avec un crayon gris ».
La méticulosité des processus contribue à tenir le tout en permettant l’élaboration des œuvres les plus complexes. Les « Foules » sont ainsi toujours dessinées de gauche à droite et de haut en bas. Il sait que tout choix technique entraîne secondairement des conséquences stylistiques. Ainsi la traque photographique des faces aperçues dans les lieux de foule permet de produire la théorie des visages qui se pressent sur le papier. Chacun trouve sa juste place , son attitude la plus cohérente, son expression la plus apte à lui ménager l’espace propre de son épiphanie.
Dans la richesse chatoyante de cette foultitude humaine prise dans la joyeuse grisaille des traits on imagine cette cohabitation pacifique se mettant en place dans une réelle empathie , l’artiste nous le confie : « en dessinant mes inconnus, je me surprends à mimer les expressions de leurs visages pour les aider à naître sur le papier ».
A côté de cette grande œuvre collective des « Passants » et des « Foules », la même structure de complexité du vivant nourrit les « Dessins du dimanche » ou les « Broderezh » qui font proliférer les cellules végétales. La mine de plomb sature le plan du papier et nous sommes invités à y pénétrer pour trouver notre chemin dans l’empathie de la nature. L’individu qui subsiste est celui des « Grosses têtes », des « Fiches » accompagnées des numéros d’immatriculation et des corps féminins « Nues » s’appuyant sur le blanc du support .
Les choix esthétiques de mise en page , le fond gris qui détache justement ce blanc des dessins, les agrandissements qui nous conduisent au cœur du geste tracé rendent un hommage sensible à cette œuvre essentielle dont les exigences de restitution d’un espace dédié à l’être humain passe par une hiérarchisation des présences et des affects, une empathie dessinée off limites à ces formes multiples du vivant.