Les horizons lumineux de Sandrine Derym

Animée jusqu’au bout par une curiosité tous azimuts et la passion de l’image qu’elle n’avait de cesse de transmettre sous de multiples formes, Sandrine Derym, grande dame (au sens propre comme au figuré) de la photographie, vient de nous quitter prématurément, à l’âge de quarante ans.

Avec sa haute silhouette, son regard sombre, son timbre grave et posé, cette élégance qui a été la sienne jusqu’au bout, défiant la maladie, Sandrine dégageait une « classe » empreinte de retenue susceptible d’impressionner ceux qui la croisaient pour la première fois. Et qui en disait à la fois long et trop peu sur sa personnalité. Car sa réserve laissait place plus souvent qu’à son tour à un rire franc et communicatif, qu’il est difficile de ne pas entendre résonner lorsque l’on pense à elle.

Et derrière son maintien altier, vibrait une sensibilité artistique embrassant aussi bien les images fixes et animées que la littérature, la musique, le théâtre, la mode… alliée à un inlassable esprit de partage : elle n’avait pas choisi par hasard le métier de bibliothécaire. Mais cet esprit est présent, aussi, dans la manière dont elle avait choisi d’exercer en parallèle la photographie. Non à la manière d’un jardin secret, mais en menant à la fois des travaux personnels qu’elle exposait ou dont elle faisait des livres, et des aventures collectives de création et de diffusion, dans le cadre des Rencontres photo du 10e, au sein du collectif La Petite Société, ou avec d’autres artistes, sur le principe qui lui était cher des affinités électives.

Nul ne niera que Sandrine avait un don rare pour susciter les rencontres : combien d’amitiés se sont nouées par son entremise, et de projets en sont nés… tandis que nombre de jeunes photographes ont pu s’appuyer sur son écoute et et son regard stimulants. Si cette elle avait, forcément, le goût du papier – des beaux livres, des beaux tirages, des belles revues…-, sa curiosité et sa passion de transmettre avaient également trouvé un terrain de jeu idéal avec Internet. Au début des années 2000, déjà, elle avait collaboré à une revue en ligne, Bulbe.

Ces dernières années, nombreux sont ceux qui se délectaient des coups de coeur, et parfois des coups de griffe, qu’elle égrenait sur les réseaux sociaux sur un ton mi-sérieux mi-léger. Car Sandrine ne craignait pas d’assumer des enthousiasmes frivoles, autant qu’un certain goût du jeu et un humour acidulé. Sa distance (thème au coeur d’un des projets collectifs de La Petite Société) vis-à-vis de toute forme de snobisme ou d’élitisme, elle la cultivait aussi en s’échappant régulièrement vers sa chère région d’origine, le Nord, où elle retrouvait ses proches.

Ses photographies elles-mêmes, qu’elle capte des plages estivales ou des adolescentes rêveuses, portent l’empreinte d’une sensibilité hors des modes, à la fois introspective et tournée vers les autres.« A mes yeux », disait-elle, « les photographies de paysage et les portraits se répondent et se poursuivent tout naturellement. Un visage, un souvenir, une lumière ou une silhouette : pour moi, le souvenir demeure sensoriel. L’aspect rétro du pola(d)roïd fait que ces images ne sont pas datées, justement, et remettent en question le moment de la prise de vue. Mes photographies sont la somme d’une émotion diffuse et rêveuse, perçue l’espace d’un instant. » Sandrine n’est plus, mais par delà la tristesse, la lumière de ses images, de son rire et de son regard nous reste.