Les hybridations photographiques de Pooya Abbasian en quête de réels

Le stand de Pooya Abbasian au salon unRepresented 2024 manifestait une remarquable occupation de l’espace de la vitrine du Molière grâce à la diversité des techniques et à la force plastique des œuvres exposées. Il poursuit cette exploration pluri-artistique à la Maison européenne de la photographie avec « Maltournée » comprenant une vidéo d’une communauté disparue de réfugiés et des fragments céramiques de toilettes ou d’éviers brisés recouverts d’émulsions photographiques images de lieux où ils ont été trouvés. 

Abbasian Pooya – photo © Gregory Copitet
Abbasian Pooya – photo © Gregory Copitet

Pooya Abbasian, né en 1985, est un artiste iranien vivant à Paris depuis 2011. Deux créateurs de son pays dont il a été assistant ont contribué à sa formation. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le réalisateur iranien Jafar Panahi, notamment célèbre pour Taxi Téhéran (2015). Le Frac Île-de-France, Le Plateau, lui a consacré une monographie en 2022 Œil pour œil. 

Pooya Abbasian a développé sa pratique singulière en hybridant les médiums de différentes époques. Il a ainsi réalisé des séries de cyanotypes et de lumens en utilisant une méthode d’impression qu’il a inventé, à l’aide d’un projecteur numérique.

L’esthétique qui en résulte privilégie ambiguïtés et états transitoires des images. Il affirme à ce sujet son goût des « failles poétiques issues du mariage des médiums qui sont comme des trous noirs qui s’ouvrent sur de nouveaux horizons à découvrir. » Sa base de travail est constituée d’images recueillies sur Internet, sur des sites d’information ou résultant de sa pratique personnelle de la photographie.

Quant aux sources de mythologie personnelle s’il se reconnait influencé par l’histoire de son enfance iranienne et de sa migration en Europe, il avoue essayer d’éviter l’écueil de l’« auto-exotisme ». Cependant il ne s’empêche pas dans deux ensembles de faire référence à des évènements qui ont agité son pays. Mettre un satellite en orbite est une impression grand format en lumen d’une capture d’écran d’une photo tirée d’un site d’information en ligne. Traitée en négatif elle rappelle l’échec en 2019 de ce lancement par les autorités de son pays. Le Sanchi était un pétrolier ayant subi une collision qui l’a fait couler, plusieurs membres des familles des marins tués ont reçu des messages anonymes niant ces morts. L’artiste dit avoir été troublé par cette situation fantômale.

Ces deux ensembles correspondent aussi à la démarche exprimée dans le titre de cette série Re-Transmission of a Memory. On y trouve aussi bien des vues de lieux abandonnés que des objets en plâtre découverts sur place, les deux font l’objet d’une double approche technique, photo et projecteur numérique, le résultat étant visible sur différents types de supports qui les fragilise encore comme des tissus transparents.

Bien que complexes dans leur élaboration le résultat en est des images pauvres, à la fois matérielles et immatérielles jouant sur le flou, la précarité ou la transparence des supports laissant une place importante à l’interprétation du regardeur. Dans son texte Fractionnement/effraction de l’image le critique Morad Montazami commente : « D’emblée, ces images nous interpellent par leur présence spectrale, à la limite du visible, conséquence de leur processus de fabrication, de leur genèse. Elles résultent en effet d’une projection vidéo réalisée sur du papier photosensible, lui-même scanné, avant l’évaporation de la trace-image laissée par la projection, afin d’en faire une empreinte-image, que l’artiste fixe finalement en l’imprimant sur un support en plexiglas – le support final. »

La présence humaine fluctue elle aussi, notamment dans la série Discreetly living behind your face qui se consacre à des vues de dos, de trois quarts arrière d’un modèle féminin à la nuque dégagée par un chignon. Mettant en tension identité et approche incertaine de l’autre dans des rencontres impossibles ou différées, leur sensuelle fragilité est accentuée encore une fois par la technique ancienne du cyanotype. Un autre type de présence confronte des fragments de plâtre ou de céramiques à la projection à leur surface de visages souvent féminins, comme dans la série Lumen et sa présentation lors de l’exposition Le radeau des cimes. Ces portraits dérivés de petit format y étaient mis en situation en opposition avec de grands tirages aux limites de l’abstraction. 

L’œuvre de Pooya Abbasian questionne avec une grande sensibilité les conditions actuelles d’existence des images de toutes natures, il alterne la mise en espace de vestiges fragiles avec des présences spectrales aux limites du visible dans une poétique des traces.

Pooya Abbasian est un artiste né en Iran en 1985 et basé à Paris depuis 2011. Sa pratique se déploie à travers la photographie, la vidéo, le dessin et l’installation. La compréhension paradoxale de l’image qui l’intéresse, entre distance critique et fétichisation, provient certainement de la relation complexe et désillusionnée qu’il entretient avec son pays d’origine.
 
Expositions personnelles
2024 Maltournée, MEP (Maison européenne de la photographie), Paris, France.
2022 Œil pour œil, Frac Île-de-France Le Plateau (La Vitrine), Paris, France.
2018 Discreetly Living Behind Your Face, Galerie 52, Folkwang-Uni, Essen, Germany.
2018 Discreetly Living Behind Your Face, Galerie des petits carreaux, Saint-Briac, France.
 
Expositions duo
2022 Pooya Abbasian XX Grand8, La Generale, Paris, France.
2021 RCO, La Marbrerie, Montreuil, France.
 
Expositions de groupe
2024 La Box une première histoire (1990-2024), Bourges, France.
2024 Nord-Est, Poush, Aubervilliers, Paris, France.
2020 En Être, 70e édition de Jeune Création, Romainville, France.
2020 Le radeau des cimes, Villa Belleville, Paris, France.
 
Prix
2021 Production grant for a Masterclass with Wim Wenders,
Institut français/Goethe Institut, France, Allemagne.
2020 Cnap (Centre national des arts plastiques, permanent collection for Lumen series, Paris, France.