Trois expositions toulonnaises abordent la situation récente du Liban grâce aux pratiques de la photographie et de la vidéo . Leur confrontation permet de faire un point sur le rôle des images dans des pays en conflit, pour départager la façon dont le reportage, le travail d’auteur et les fictions documentaires sont aujourd’hui opérantes.
La Maison de la Photographie reçoit une série de tirages sélectionnés par Magnum. Cette approche très traditionnelle d’une situation historique peut se lire dans le rapprochement d’un torse masculin harnaché d’une mitraillette et d’un corps féminin dans le cadre d’une piscine, deux photos de Raymond Depardon. En revanche on retrouve ici avec le plus grand plaisir des images d’Abbas qui sait en un cliché mettre en relief les paradoxes d’une situation apparemment banale.
Dans le hall du Théâtre Liberté un accrochage de petits tirages couleurs rend hommage à Leila Allaoui, franco-marocaine tuée en 2016 dans l’attentat de Ouagadougou. Sa proximité avec les personnes dont elle dresse le portrait se révèle par sa capacité à les détacher du fond d’une situation quotidienne. Souvent prises en intérieur ces images pleines de sensualité révèlent une grande tendresse pour ces populations victimes de la misère et de la guerre. Elles s’accompagnent de textes qui mettent en valeur ces situations individuelles.
La plus intéressante des trois propositions nous est offerte par la galerie de l’axolotl avec un commissariat de Yann Perol et Julien Carbone. Son titre Corps-Temps du Liban nous révèle un choix théorique d’une grande exigence, loin des seuls instants photographiques trop limités du reportage ou des effets un peu sensationnalistes du travail d’auteur.
Emmanuel Gras réalise en 2005 Tweety Lovely Superstar, documentant un chantier libanais détruisant un immeuble depuis son toit. Son parti-pris formel radical contraste avec le caractère vain de l’action filmée, évoquant métaphotiquement la casse de tout un pays.
.Rodolphe Cintorino dans une pratique hésitant entre celles d’un archéologue et d’ un expert en balistique, produit dans Beyrouth des moulages d’impacts de balles, comme autant de micros témoins du temps de la guerre. On pense aux façades martyrisés de la ville photographiées par Sophie Riestelehueber, cet artiste expose à la fois les images des lieux de ces prélèvements et les mini sculptures de plâtre qui évoquent des Nipples, des têtons qui redonnent un corps à ces tirs devenus anonymes.
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sont les artistes libanais les plus prolifiques qui aiment travailler tous les supports images y compris en installation. The Lebanese Rocket Society leur film documentaire sorti en 2013 relève du genre des fictions documentaires puisqu’il s’attache à une réalisation utopique d’une fusée réalisée par un prof et ses élèves qu’ils traitent comme une réalité guerrière. On retrouve là dans cette distance ironique leur goût pour l’émergence des propositions individuelles face à des sociétés communautaires et la difficulté de vivre au présent tout en participant à l’écriture de l’Histoire.
Mona Hatoum née en 1952 à Beyrouth s’est fait connaître par ses performances scénarisant violence et sexualité. Elle présente ici une vidéo plus intimiste Measure of Distance de 1988 qui tient en respect les émotions résultant de la séparation mère fille derrière la grille de courriers échangés en arabe qui transforme l’écran en moucharabieh, à l’abri duquel continue de vivre le corps maternel.