Les morphogenèses insolites d’Horacio Cassinelli

A même le sol, l’installation « Rattenkönig » est un empilement de carcasses d’ordinateurs momifiés de ruban noir qui entoure un tapis sur lequel des souris, attachées par la queue, se déplacent de façon aléatoire. « Rattenkönig », le roi des rats est une expression d’origine allemande qui est soit un phénomène exceptionnel devenu légendaire, soit une mystification. Pourtant de nombreux spécimens inexpliqués de rats attachés par la queue ont été trouvés et conservés.

Au mur, « Shift », simulation d’un clavier d’ordinateur dont l’alphabet des touches translucides légèrement décollées du mur, est remplacé par la somme de silhouettes dédoublées, apposées recto-verso afin de donner une deuxième image. La lumière traversant les zones transparentes issue de ce procédé projette sur le mur encore une autre image. La barre d’espace est occupée par la silhouette dédoublée du « Christ mort » d’Holbein ?!

MAGA (mouche, anaconda, girafe, aigle) résulte de l’image éclatée en six morceaux, quatre tableaux peints et quatre gravures.
« sOuVeNIrS » : sur une mosaïque de gommes, support qui en dit long, l’apparition d’images d’objets pas toujours identifiés tant ils sont sur le point de disparaître.

Avec « Daily Finger Frame » tout commence avec l’œuf, promesse de potentialités s’il en est, dessiné à l’index sur un iPhone. Jour après jour, (365 au total et cela va continuer) nous assistons au défilement de toutes les étapes des métamorphoses de l’œuvre en train de se faire. On peut voir aussi sur un carrousel, les étapes du dessin de la mouche dessinée par le même procédé.

Dans plis des éventails de Atajos, une image compressée se montre à l’instant T sous forme d’un rectangle inscrit dans un arc de cercle : la vue que l’on aurait depuis l’intérieur d’une voiture, d’une route qui défile et dont les lignes, celles de la route et celles de l’éventail convergent vers le même point de fuite.

L’anamorphose d’une tête de mort sur un cube de gommes noires ou celle du virage d’un guépard sur un bloc de gommes inclinées nous fascine, de même que le regard de la Joconde peint sur le ventre de scarabées.
Dans tous les cas, pour Horacio Cassinelli qui joue avec l’image comme on peut jouer avec les mots, l’image parcourt des zones instables où elle est susceptible de rencontrer un « point catastrophique », celui que décrit René Thom dans « La théorie des catastrophes ». Pour ce dernier « un point catastrophique, c’est un point de voisinage duquel il y a discontinuité dans l’apparence du substrat », et de préciser que « ces catastrophes n’entraînent pas la destruction du système ».

Dans l’émergence de cette réalité différente où l’on glisse d’une réalité à l’autre en effaçant les frontières, dans ce passage on découvre la surprise, l’étonnement. La forme ainsi sortie de sa syntaxe, ainsi dénaturée procure un dépaysement qui ouvre sur une réalité supplémentaire.

Avec Imagen, (anagramme de enigma), Horacio Cassinelli nous propose un guide pratique d’éveil à l’irrationnel. Sa poétique plastique faite de subtils décalages, d’une légère déchirure, nous fait changer de niveau de réalité ou nous place entre deux réalités. Elle ébranle nos certitudes pour extraire l’insolite dans la banalité, l’absurde dans la logique, le prodigieux dans l’ordinaire, le tout dans une sorte de vibration fort stimulante.

Laissons le visiteur découvrir les secrets des images cachées, éclatées ou détournées…