Si les liens à la musique et aux arts plastiques ont été bien exploités , un point global sur les rapports entre « Danse contemporaine et littérature » était à étudier . Sous ce titre le CND publie un essai universitaire collectif sous la direction de Magali Nachtergael et Lucille Toth, il est sous-titré « entre fictions et performances écrites ». Théoriciens, critiques, philosophes, danseurs et chorégraphes y contribuent pour un panorama de créations mixtes d’une grande puissance imaginaire. Toutes sortes d’esthétiques relevant des deux arts y sont abordées avec une vraie liberté d’expression.
Après un long chapitre introductif sur « La littérature dansée » qui analyse des figures historiques, esthétiques et poétiques le livre se structure autour de trois « Carnets » , deux sont consacrés à des chorégraphes féminines Maguy Marin et Mathilde Monnier , tandis qu’un troisième focus semblable est consacré à l’écrivain, romancier, auteur d’essai et de fragments Pascal Quignard. Un autre chapitre analyse les forme de l’auto-création « s’écrire hors et sur scène ». Une dernière approche plus orientée vers la technique montre « comment écrire le mouvement : au delà de la littérature ». Une postface permet de retrouver avec plaisir la pensée subtile de Daniel Dobbels , critique d’art et chorégraphe, trop rare ces dernières années. Sa conclusion :
« Il s’agit bien de cela , d’en finir avec toute danse balistique , où les corps masculins ou féminins, risquent à tout bout de champ d’être projetés brutalement hors de l’axe et de son ordre, réduits en miettes, réduits à l’état de projectiles mortels. »
Dans l’histoire littéraire la figure de la danseuse se trouve étudiée par Mallarmé, Rilke, Valéry ou Hofmannsthal. Martha Graham a mis sur scène pour Letter to the world un poème d’Emily Dickinson. Plus proche de nous Dominique Bagouet a longuement interprété plusieurs productions écrites d’Emmanuel Bove. Il racontait ainsi cette pratique :
« Faire résonner le texte sur nos dos, dans nos âmes à nous , les danseurs, pour que la suite soit toujours en désir ». Ce qui répondait à Paul Auster décrivant :
« La parole non comme une développement de la pensée mais comme une fonction du corps ».
Le Carnet Maguy Marin s’ouvre bien entendu sur May B inspiré de l’univers de Beckett à travers Fin de partie et En attendant Godot. Mais d’autres textes – sources l’ont inspiré. Henri Michaux pour Yu Ku Ri (1976), Fernando Pessoa Aujourd’hui peut être (1996) ou Charles Péguy pour Point de fuite (2001)
Le chapitre « Ecrivains en scène » fait la part belle au festival Concordan(s)e qui a donné carte blanche à des duos danseur/écrivain. Célia Houdart qui a publié des textes fondés sur des souvenirs de sensations corporelles collabore avec Mickael Phelippeau , chorégraphe plasticien. Dans une double approche de la folie Carlotta Sagna crée une Petite pièce avec Olivia pour l’écriture d’ Olivia Rosenthal .Plusieurs livres relatant ces créations duelles sont publiées par les éditions L’oeil d’or.
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Pascal Quignard avait collaboré avec Angelin Preljocaj dès 1995 à l’occasion de la création de L’Anoure ou avec Andrea Sitter pour cette pièce au titre si révélateur pour ces doubles rapports Obstinés lambeaux d’images ( 2013). Les textes y fonctionnent comme des arguments de ballets. Dans un entretien avec l’auteur célèbre depuis Tous les matins du monde Stefano Genetti y aborde son globalisme esthétique en oeuvre. En complément Bernard Vouilloux avait étudié son rapport à la danse dans La nuit et le silence des images , paru aux éditions Hermann en 2010.
Trois soli montés à la même époque témoignent de la force de l’auto-
bio-chorégraphie sur scène avec Journal d’un inconnu de Joseph Nadj (2002) Funambule d’après Jean Genet (2009) Faut qu’je danse de Jean-Claude Galotta (2011)
D’autres supports sont aussi étudiés avec les blogs d’Yves-Noël Genod, Frédéric Werlé et John Froger. Interrogés sur l’influence d’un livre dans leur création scénique Marie Chouinard cite Mouvements d’Henri Michaux , 64 pages de dessins et textes en prose qu’elle envisage comme partition chorégraphique. Christine Gérard a créé La loquèle à partir d’un chapitre de Fragments d’un discours amoureux de Barthes et Christian Rizzo se nourrit de la lecture de Fragment de théâtre n°2 de Beckett.
Le carnet Mathilde Monnier s’appuie bien entendu sur son travail commun avec Jean Luc Nancy qu’elle a introduit sur scène dans Allitérations (2002) et avec qui elle a publié deux carnets de travail Dehors la danse, puis Séparation de la danse cette même année. Quant à lui, Jean-Luc Nancy avance à propos de la danse le concept d’affectabilité, défini comme constellation de l’état de l’affect , de l’exposition et du toucher : « oui deux doigts se tendant ont fait de nous des mondes ».Une autre expérience performative a donné lieu au livre MW avec la photographe Isabelle Waternaux et l’écriture poétique et critique de Dominique Fourcade.
D’autres chorégraphes sont étudiés montrant cette diversité d’intérêt aussi bien pour les outrances baroques de Jan Fabre dans L’Histoire des larmes que pour le minimalisme d’Ann Teresa de Keersmaeker reprenant Gertrud Stein dans Rosas danst Rosas. La radicalité des créations de Simone Forti est étudiée à partir de ses différents concepts évolutifs « logomotion » « moving the tellin » puis « news animation » qu’elle retrouve à l’action dans son livre Handbook in motion qui regroupe poèmes, anecdotes, descriptions de pièces, photos floues, journal intime pour un exceptionnel work in progress.