Les multiples réussites d’Arles In et Off

Par delà le réel plaisir éprouvé au retour à une situation sanitaire quasi normale et au bonheur de revoir les diverses tendances de la photographie exposées nous devons convenir que le programme global de l’été arlésien constitue une réussite. Pour en rendre compte ce premier article général n’opposant pas le programme officiel et les propositions alternatives sera complété par deux focus sur deux monographies exceptionnelles celle de SMITH dans le in et l’installation de Pierre Huyghe à la fondation Luma.

Pour la continuité des pratiques encore actives aujourd’hui on doit d’abord saluer THAWRA ! REVOLUTION ! Qui documente au Soudan , l’histoire d’une révolution. Les commissaires Juliette Agnel et Mohammed Duha ont réuni huit jeunes reporters qui font un point essentiel sur la fin de 30 ans de dictature.

Le portrait est aussi parfaitement représenté dans sa diversité esthétique. Vrais Rêves défend des images inspirées de l’époque médiévale très troublants avec les parements liturgiques Sacrilège de Jean Baptiste Carhaix. Pieter Hugo renforce la présence de ses modèles dans un face à face très serré pour des personnalités d’une grande prégnance. Stéphan Gladieu brave le destin collectiviste de la société nord coréenne avec des portraits individuels en pied de couples ou de petits groupes réunis sur leur lieu de travail. Simon Lehner utilise la 3D pour recréer en avatar évolutif son portrait d’enfant victime de violence intra-familiale.

DÉPORTÉS , LEUR ULTIME TRANSMISSION.La grande intelligence du projet de Karine Sicard Bouvatier présenté au Temple d’Arles est d’associer des portraits d’anciens survivants de la déportation à ceux de jeunes d’aujourd’hui à l’âge où ils ont été emmenés dans les camps de la mort. Il matérialise ainsi la jeunesse de ces victimes du nazisme. Ce passage de relais à travers deux ou trois générations de différence montre comment cette jeunesse au contact avec les derniers témoins directs pourra à son tour témoigner de l’un des plus grands drames du 20ème siècle auprès de ses enfants.Cette exposition participe au projet international sur les survivants de l’holocauste the Lonka Project https://www.thelonkaproject.com.
Pendant cinq ans Anton Kusters a cerné en Europe les 1078 camps de concentration officiels qui existaient pendant la domination nazie en Allemagne de 1933 а 1945. Il a choisi de réaliser pour chaque site une seule image en pellicule instantanée cadrant le ciel sans nuage d’où son titre le Blue skies Project produit pas Monica Allende. Une version permanente reproduit ces Mille et soixante-dix-huit ciels bleus (2019) en installation au United States Holocaust Memorial Museum à Washington.

Toujours préoccupés de modèles célèbre les photographes de people exaltent les personnalités exceptionnelles.Antoine Giacomoni s’est fait connaitre dans les années 1980 comme le portraitiste de musiciens tels The Cure, Etienne Daho, Gainsbourg, Nico, Lou Reed…On et heureux de retrouver ici présenté par Jean André Bertozzi certains de ses Portraits à travers le miroir, fruit d’une décennie de mirror’s sessions, consacrés à ces stars internationales.
En 1984 Peter Beard invité des Rencontres , est accompagné de Marella Oppenheim, photographe franco-britannique. Pour accompagner les clichés de l’époque de son compagnon elle a demandé à Solomon Wasimigo au Kenya de dessiner sur ses images pour rappeler l’univers de Peter Beard dans ses liens à ce pays La Galerie Anne Clergue présente ce travail commun Like a bird on a wire.

Rendre hommage aux maitres d’un passé récent peut se faire en ré-exposant leurs principales productions. C’est ce que fait Cyrille Putman en présentant à L’Aire lieu d’exposition et de restauration un hommage à Raymond Hains, à travers des oeuvres importantes de se collection cela donne notamment l’occasion de revoir avec grand intérêt ses photos abstraites de 1952 ou certaines de ses affiches lacérées.
Un hommage peut être rendu à un créateur par une de ses actions au sein d’un support particulier. La remarquable évocation rétrospective Luma de l’action d’information de la revue Parkett fait l’objet d’un focus sur l’oeuvre de Sigmar Polke (1941-2010) , compagnon de la revue .
Dans le prix Découvertes l’un des travaux les plus singuliers voit Tarrah Krajnak visiter ses Rituels de Maitres II en menant par ses autoportraits mis en scènes une relecture critique des Nus d’Edward Weston. Elle les met en crise avec humour en interrogeant la place de la femme latino américaine dans l’histoire du médium.

L’exploration de la matière lumière de la photographie a d’abord fait l’objet d’une recherche spécifique en analogique comme en témoignent les stèles de matière photographique noir et blanc de Bernard Lantéri à la galerie Vrais Rêves. Ces expérimentations sont aujourd’hui l’objet d’autres technologies. Incarnations produite par Fisheye réunit au Couvent Saint Césaire des créateurs de la réalité virtuelle . « Ces images-mondes répondent par un trouble qui prend corps. » L’australienne Lauren Moffat et sa série de Composts couleurs réalisés numériquement illustrent cette pratique.

La relation ineffable à la nature définit pour Marie Docher Ce qui nous tient, on est heureux de la découvrir ici dans cette série de tirages couleurs , par delà ses seules positions militantes pour la défense des pratiques de l’image au féminin. Des correspondances s’établissent visuellement entre roches, liquides, laves, animaux et ressentis humains. Des dessins de Clémentine Feuillet et des collages picturaux de Guillaume Flageul développent ces relations singulières à la galerie Joseph Antonin. François Cheval présente pour le prix BMW les recherches esthétiques et scientifique s d’Almudena Romero. The Pigment change montre comment la matière végétale peut explorer une autre matière d’image à partir d’images du corps et des clichés de famille.

Entre performance, photographie et dessin Nicolas Havette, artiste plasticien, mène dans la réalisation d’une fresque un processus de construction et de déconstruction de mémoire individuelle et collective vis à vis d’un territoire. Chaque participant apporte un ensemble d’images qui le lient au territoire. Pour dresser la carte mentale de leur environnement . Lui même fait sa propre quête icono. « FORTUNES c’est la poésie qui navigue dans les veines du documentaire »
Les images collectées sont projetées dans le lieu d’exposition, préalablement peint en noir. Les dessins, se recouvrent progressivement les uns les autres et forment une fresque en constante évolution. L’ensemble de la création est documentée photographiquement. Nicolas Havette mène ainsi une anthropologie collective et participative

La performance se conjugue d’abord au féminin latino-américain pour Puisqu’il fallait tout repenser sous titré l’art en période d’isolement . Cette scène artistique peu connue en Europe se révèle dans toute sa richesse des années 1970 pour un féminisme militant au service d’une affirmation identitaire géographique. Les oeuvres de Liliana Maresca mettent en lumière les contraintes faites au corps.
De façon plus humoristique l’Image performative voit le Hollandais Hans Eijkelboom incarner une figure paternelle de substitution pour différentes familles dans ses mises en scène en l’absence du père au travail l’après midi.

Une partie importante de la programmation prend pour sujet l’Afrique , dans le Jardin des voyageurs Les villes hybrides profite de cette accrochage en plein air sur des structures de bois pour montrer l’évolution des mégalopoles du continent. Dans le même environnement les collages de Lebogang Tlhako rendent hommage à sa mère en mettant en lumière le positionnement des créatrices à travers l’album de famille revisité. La remarquable proposition Entre art et mode The New Black Vanguard révèle une scène d’un réel dynamisme qui invente ses propres règles au sein de la mode. Certain créateurs jouent de la richesse des matières du vêtement pour une approche picturale tandis que d’autres multiplient les formes et leur accumulation pour des versions plus sculpturales.
Une même approche pluri-artistique soutient dans les Découvertes la série Mirage de la vie de Farah Al Qasimi qui montre les intérieurs émiratis au Qatar dans une installation jouant autant du politique que d’une dimension critique.

Une proposition très novatrice est celle de Florent Basiletti récent diplômé de l’ENSP et nouveau directeur artistique de la fondation Manuel rivera Ortiz sous le beau titre Echos-Systèmes/ . Elsa Leydier crée sa série Les marques avec un photographe de mode, elle installe semences paysannes, pages de magazines, bois de chêne sous l’intitulé Les Mauvaises Herbes Résisteront.
Les chants de l’asphodèle de Mathias Benguigui et Agathe Kalfas réunissent photo et texte dans une fiction documentaire sur la situation de l’île de Lesbos
Alberto Giuliani pour SURVIVING HUMANITY explore l’avenir de l’humanité. Changement climatique, démographie, guerre nucléaire, migrations, pandémie. Ce travail explore ce que la science fait dans le monde pour faire face à l’avenir.

La programmation luxembourgeoise de Lët’z Arles réunit deux fictions documentaires extraordinairement scénographiées dans la chapelle baroque de la Charité. Erre est une installation spatiale de Lisa Kohl . Elle regroupe l’ensemble Shelter, pris dans l’espace urbain de Los Angeles et une série réalisée dans une base militaire à proximité de la frontière mexicaine aux États-Unis. Les personnages en performance apparaissent comme des sculptures vivantes enveloppées dans des tissus qui leur confèrent une portée symbolique. L’installation Providencia de Daniel Reuter reprend la forme hexagonale des kiosques de la place publique des tours Tajamar dans le quartier de Providencia à Santiago. Les images accrochées à l’intérieure et à l’extérieur de la structure démultiplie les possibles lectures des relations entre sites et personnes qui y habitent.

La tradition du photomontage politique est assurée avec l’architecte Charlotte Perriand , la commissaire Damarice Amao met en perspective ses productions dans une scénographie jouant de différents formats très apte à rendre compte de ses messages humanistes. Une oeuvre engagée et révélatrice d’une époque.
Elle dialogue avec les photographies directes de la plus âgée des exposantes Sabine Weiss qui reçoit à 96 ans un juste hommage grâce à une monographie dans la chapelle du Museon Arlaten réouvert cette année. Cette manifestation présentée dans un commissariat de Virginie Chardin rend à cette grande professionnelle sa place parmi ses collègues masculins.
Aujourd’hui numérique le photomontage est représenté par la série réalisée par Jean Christian Bourcart en résidence à la galerie Hasy au Pouliguen pendant le confinement. Il a exploré les archives du Musée d’art populaire. Il s’est amusé à greffer des monstres sur les clichés folkloriques pour créer ses collages numériques d’une grande drôlerie Au bord du réel.

La fondation Luma accueille le Prix Dior pour des étudiants en école d’art . Sortie de l’ENSBA de Paris Sixtine de Thé utilise photo et dessin afin que ses Pellicules aveugles rendent compte d’une expérience interne de la cécité.

La déclinaison de l’image du masculin dans Masculinities : Liberation through Photography se montre dans le corps vieillissant de John Coplans , l’émotion de Bas Jan Ader se filmant en train de pleurer pour Trop triste pour t’en parler, les portraits maquillés de talibans trouvés dans un studio à Kandahar , les yeux maquillés de khôl, donne à Thomas Dworzak l’occasion de contrecarrer un cliché. L’artiste et militant indien Sunil Gupta s’attache à donner une image positive des relations homosexuelles au moment où l’Angleterre où il vit condamne cette iconographie.

Pour conclure deux oeuvres vidéo présentées à la fondation Luma jouent d’un exceptionnel rapport au temps. The Clock(2010) est un montage de 24 heures réunissant des milliers de séquences cinéma ou télévisées qui comportent toutes une indication de l’heure (montre, horloge, alarme ou dialogue). Synchronisées avec l’heure de la projection, le temps de l’écran est également celui du spectateur.
En 9 minutes Anri Sala crée une sorte de suspens visuel pour If and Only If (2018) sa caméra scrute la lente progression du bas vers le haut d’un escargot sur l’archet du musicien Gérard Caussé, pendant qu’il exécute l’Élégie pour alto seul d’Igor Stravinsky.La stratégie de mouvements mise en place montre comment le violoniste contraint de bouleverser sa gestuelle et sa manière de jouer permet à l’escargot d’effectuer sa traversée.