Les multiples translations picturales des clouds dans l’oeuvre de Tania Le Goff

Mon premier contact critique avec l’oeuvre de Tania Le Goff s’est fait en 2013, grâce au Salon Réalités Nouvelles, à travers les dimensions techniquement renouvelées de la cartographie. Sans que l’on puisse parler d’évolution vers une formalisation plus abstraite, la structuration de son oeuvre s’éloigne des traductions spatiales pour aborder les multiples échanges de divers langages contemporains.

En 2014 deux séries s’établissent en relais transitant d’une pure invention cartographique à d’autres formes de l’écriture de l’espace. Les deux conservent une dimension ludique. Les dessins de System Architexture adaptent déjà les définitions d’algorithmes des télécommunications pour les transformer en patterns graphiques. Les photos de Through a Square superposent des vues couleurs prises dans l’eau en Méditerranée à la maille de dentelle en béton du MUCEM de Marseille.

Les oeuvres de Tania Le Goff sont toujours nourries de textes et de graphiques. La toile présentée aux Réalités Nouvelles 2021 est titrée KDF #2 , c’est qu’elle est cryptée pour désigner en anglais les algorithmes de sécurisation de la téléphonie mobile 5G. Dans les multiples protocoles graphiques qu’elle fait subir à ses documents le schéma sur lequel elle a travaillé en tant qu’ingénieur est utilisé en toile de fond tandis que le premier plan du tableau est occupé par des mots issus du fonctionnement technique mais qui gardent ainsi une valeur poétique . La communication se trouve ainsi sauvegardée, transférée d’une logique à une autre.

En 2015 les dessins de Measure Theory dont elle revendique la source en tant qu’un rassurant héritage maternel sont produits sur papier musique. Ils
s’inspirent de l’idée qu’il n’y a pas, même en mathématiques, une seule mesure
des choses. Même en ce domaine , on peut avoir à construire une mesure
spécifique pour démontrer un théorème. Réalisés en noir et blanc avec l’ajout de caractères écrits l’un retrouve des indications à caractère mondial Almost Everywhere , tandis qu’un autre cherche une formulation plus généraliste sinon scientifique Topology of the Real Line.

Deux vidéos regroupées sous le titre Dojo’s Particules – réalisées avec Olivier di Pizio empruntent leurs effets performatifs au mouvement de jeunes judokas filmés dans un dojo. Unpredictable Disturbances filme les déplacements des jeune sportifs au niveau du tatami en monocamera, dans une approche quasi chorégraphique. Equilibrium of the Disorder multiplie au contraire différents angles, vues latérales et en plongées qui rendent les mouvements plus abstraits et plus dynamiques à la fois. Différentes occurrences textuelles et de signes mathématiques viennent contrebalancer les images qu’elles envahissent .

Une même esthétique de partage de la surface de création régit les horizons de Looking Beyond . La source scientifique pour cette série de 2016 est la publication scientifique annonçant la première détection des ondes gravitationnelles. Les frises écrites encadrent en les dynamisant les vues photographiques des horizons départageant ciel et mer.

Après ces bandeaux textuels qui délimitent les lignes d’horizons et alors qu’il existe des générateurs de mot-clés et de tags en ligne l’artiste opère par brouillage à partir des champs sémantiques de transcription de la 5G.Elle réalise ses oeuvres numériques Scrambled Specs des graphes qui témoignent de l’occurence des mots, ils sont traduits via un logiciel de dessin vectoriel

Si l’on considère la froideur des langages internet , qu’ils servent au balisage ou agissent dans la programmation, on ne peut que se réjouir qu’une artiste compétente aussi dans ce domaine en renouvelle l’esthétique. Bien plus entre renouveaux de la cartographie et réincarnations du cloud computing
elle donne un corps pictural très contemporain à ce que les canadiens appellent poétiquement l’infonuagique, une autre nature.