Les écritures du réel, ses transcriptions sensibles se sont modifiées dans les deux dernières décennies grâce à l’apport scientifique des nouvelles technologies qui ont modifié notre rapport au temps certes mais surtout à l’espace, ce qui est moins souvent étudié. Ses dimensions s’en sont trouvées d’autant augmentées, elles se sont vues éclatées dans l’imaginaire. Tania Le Goff s’affirme aujourd’hui comme une des plus intéressantes exploratrices de ces confins imaginaires.
Un double cursus artistique et scientifique, en tant qu’ingénieur en télécommunications, lui permet de naviguer entre des univers graphiques appartenant aux deux champs de recherche. Le déchiffrement du monde qui la préoccupe elle en trouve le modèle dans des ouvrages scientifiques comme ceux de John G. Proakis : Digital Signal Processing. Elle utilise ses avancées en ingénierie des systèmes de communication pour les transformer en éléments d’une navigation cartographique.
Cette distance aussi critique que ludique se trouve décuplée par la différence entre une expression d’abord digitale et sa transcription appliquée à des techniques artisanales du dessin. En effet ses outils les plus usités sont les encres, acryliques et feutres qu’elle exploite sur papier ou sur toile avec un grand bonheur du trait et des masses colorées. Beaucoup de ses œuvres jouent de la transparence et de la superposition non pas dans le sens du palimpseste mais bien plutôt dans le passage codage / décodage.
Les formes génériques qui en découlent peuvent trouver leur application photographique par une lecture en grille de l’architecture dans une série photographique comme Inside From Outside – Pouillon’s Morning. Elles peuvent s’aventurer jusqu’à l’écriture d’une transcription que le titre pourrait classer du côté de la musique expérimentale. En fait la série Junku’s Partition s’appuie sur le tracé de patrons de coutures d’un magasin japonais (Junku) qui rejoue la petite mélodie corporelle de vêtements fabriqués à l’ancienne comme en concevait la grand-mère de l’artiste.
Dans la refonte des modèles de normalisation scientifique du domaine public elle peut intituler un de ses dessins KDF (pour Key Derivation Factor) on y voit la mise au carré des algorithmes de codage sécurisé qui aujourd’hui nous donnent accès à la 4G. Ce détournement ludique des schémas utilisés en téléphonie mobile, sa spécialité d’ingénieur, lui fournit une revanche sur la froideur de ces théories. Nous qui en sommes ignorants, nous y apprécions la dérive dans ces paysages abstraits de la communication.
Pour accompagner notre parcours elle parsème ses dessins rhizomatiques (en passionnée de Deleuze) d’écritures normées. Souvent inversés, ces lettres et chiffres régulés par le trace-lettres, désignent un champ lexical de recherche qui nous invite à croire à la « survivance des signaux », à prendre les bonnes orientations grâce à de « soft decisions ». Si souvent ses œuvres parient sur l’élégance du noir et blanc, elle sait agrémenter ses cartographies complexes d’indications colorées qui comme dans Double Frequency Terms ne sont jamais des parcours unilatéraux. Nous aimons naviguer dans ces espaces intermédiaires, nous y perdre un moment pour mieux nous raccrocher à quelque indication écrite qui invite à relancer notre découverte. Ces œuvres tentent une génétique de la communication qui nous permet d’actualiser ce que cette célèbre exposition du Museum of Contemporay Art de Los Angeles évoquait en 1989 comme « A Forest of Signs », telle se présente à nous cette cartographie sensible.