Arnaud Claass accompagne depuis toujours son oeuvre de photographie directe d’un travail d’écriture théorique et poétique. « Orientations photographiques. Notes 2020-2022 » qui vient de paraître chez Filigranes est son 6 ème essai chez cet éditeur.Il poursuit son interrogation vive des pratiques et postures photographiques, aussi bien historiques que contemporaines.
A feuilleter rapidement le livre on est frappé par deux ensembles de quelques pages constitués uniquement de phrases courtes qui pourraient évoquer des sortes de poèmes en prose. On pense aussi à des haikus dont ne subsisterait que le troisième vers celui qui, dans la tradition, marque la transformation accomplie d’une situation sensorielle. Chaque phrase a une grande force évolutive, provocatrice de la sensation visuelle :
« Aube d’automne : peu à peu l’ouverture du visible. »
Mais une autre série de phrases plus ou moins courtes l’amène aussi à réfléchir sa propre pratique :
« Etre un observateur faisant un usage d’ancêtre de son regard d’enfant » le conduit par exemple à revendiquer sa « solidarité avec des photographies qui constatent sans conclure ».
Il réaffirme son intérêt pour les grands créateurs américains qu’il a toujours défendu : Minor White, Weegee, Larry Fink , Emmet Gowin mais aussi les défenseurs d’une pratique dite straight et dans notre langue photographie directe. Dans d’autres paragraphes plus longs il évoque leurs descendants de sa génération comme Robert Adams, John Gossage, Paul Graham, Mark Steinmetz ou Bertien van Manen. Pour contribuer à l’histoire de la street photography il encourage ses lecteurs à découvrir des personnalités méconnues comme Paul Martin (1864 – 1944) ou Shirley Baker (1932 – 2014).
Plusieurs chapitres importants sont consacrés à tirer les leçons historiques et idéologiques de la découverte récente des photos des « Rafles du Billet Vert » et du « Vel d’Hiv » et aux clichés saisis par Harry Croner au service des nazis. Revenant aussi sur les clichés secrets d’Auschwitz analysés par Georges Didi-Huberman il affirme avec justesse que ces documents ont le mérite de faire des modèles non conscients de la prise de vue « des acteurs d’un théâtre de la vérité. »
Mais son intérêt pour l’histoire du médium dépasse ses propres goûts. Il passe en revue différents courants actifs dans la modernité. Il procède ainsi à un retour critique sur une des premières séries de fiction documentaire de Martha Rosler datant de 1975 « La Bowery selon deux systèmes descriptifs déficients ». Plusieurs paragraphes analysent longuement les pratiques photo-texte de Duane Michals , ce qui lui permet ainsi de distinguer les pouvoirs de l’imaginé et de l’imaginaire. Un autre courant plutôt représenté par des femmes artistes lui permet d’envisager « l’autoportrait théâtralisé » pratiqué par Claude Cahun, Francesca Woodman ou Cindy Sherman. Dans le grand sens de la formule synthétique qui le caractérise il regroupe Klavdij Sluban, Mickael Ackerman et partiellement Antoine d’Agata sous l’appellation de créateurs « de la sensation devenue matière ».
Si les citations les plus nombreuses sont d’abord à restituer aux grands artistes qu’il honore, le seul théoricien convoqué à plusieurs reprises est le penseur allemand Boris Groys, mal connu en France il a mené une réflexion sur l’art contemporain et l’analyse des nouveaux media. Commissaire de nombreuses expositions il a interrogé aussi la légitimité des oeuvres dans l’espace public. Il a étudié dans nos sociétés plusieurs « économies » celle de la nouveauté mais aussi de ce qu’il nomme « l’auto-design » sous l’influence nocive des réseaux sociaux.
Arnaud Claass ne ménage pas non plus ses critiques envers l’institution représentée par les foires internationales d’art contemporain et de photographie. Il reproche aussi aux artistes du post – documentaire qui furent nos étudiants à l’ENSP d’Arles comme Mathieu Pernot ou Bruno Serralongue de privilégier une option collaborative qui aboutit forcément à des présentations sous forme d’installations. Leur pratique sait cependant s’adapter à d’autres modes scénographiques. Il leur préfère des artistes du fragment produisant de pures images directes comme l’américain d’origine nigériane Teju Cole qui a photographié la Suisse dans ses détails pour sa série Fernweh ou le thaïlandais Tiane Doan Champassak qui dans Censored publié par RVB Books sélectionne des fragments d’images pornographiques.
Une seconde partie est consacrée à mettre à juste distance critique Le cas Vivian Maier . Il pose d’abord cette question essentielle : »réunir un corpus bien organisé est ce faire oeuvre ? ». Il rend ensuite au découvreur le mérite d’agir en co-auteur. Pour mieux répondre il revient sur le célèbre cas d’Atget reconnu par Walter Benjamin puis par les surréalistes. Il cite aussi le cas moins connu de David Bradford qui prenait ses clichés depuis son taxi. Reconnu par Richard Avedon il peut publier son livre Drive-By-Shootings en 1999. Puis revenant à notre autrice il s’attache à son non « désir d’adresse ». Il lui reconnait la capacité à fixer « des occurrences non évènementielles. ». Affirmant que l’oeil de Vivian Maier « est nomade », avec « un arrière-goût d’absurdité, tragique mais non pessimiste » il proclame que dans sa paradoxale « cruauté compassionnelle » elle « célèbre les noces du grinçant, de la satire et du risible. »