Mat Jacob et Monica Santos animent le Moulin de la Fontaine, à Thoré-la-Rochette, espace de résidence artistique, près de Vendôme. Leur structure zone i. inaugure un projet de quatre ans « Terre et Territoires » dont le livre d’Arno Brignon « Les doutes » co-publié avec Filigranes constitue la première manifestation. Il en résume poétiquement l’action dans sa préface
« C’est l’histoire d’un homme qui marche.
Une terre à l’épuisement.
Des haies disparues
Sur un horizon désormais sans pulsation. »
Né en 1976 Arno Brignon vit à Toulouse où il a été diplômé de l’ETPA. De son premier métier d’éducateur dans les quartiers sensibles il a conservé le sens du dialogue avec ses modèles, y compris dans des photographies négociées. Il aime intervenir en résidence, au GRAPh de Carcassonne il a présenté sont travail pour le festival Fictions documentaires en 2020 collaborant avec différents publics, le groupe des femmes mal voyantes, des femmes gitanes et des résidents en foyers après un temps sans domicile fixe. Il leur a proposé de travailler sur la photo de famille pour créer des fictions mises en scène à partir de leurs archives intimes. Il les a initiés à ses outils favoris un appareil photographique amateur et des films argentiques périmés.
Pareillement équipé il a parcouru un territoire rural industriel, habité et déserté, en Région Centre Val de Loire du Perche Vendômois en passant par la Beauce. En sillonnant ce territoire rural au rythme de 20km par jour dans une longue marche il va à la rencontre de ses habitants, chasseurs, pêcheurs, agriculteurs, néoruraux et témoigne de la singularité des sites parcourus. En art la marche a souvent été associée au land art, mais elle concerne aussi les danseurs. Un texte de la revue Repères questionnait « Ce que la marche fait à la danse :
Geste ordinaire issu de la vie quotidienne, la marche est également un mouvement perpétuel d’avancée ou de recul, qui laisse des traces esthétiques, philosophiques, écologiques, et socio-politiques. »
Arno Brignon dans l’appréhension physique du paysage propose une expérimentation performative de la photographie qui laisse les mêmes types de traces aux résonances multiples. Son journal le prouve dont chaque chapitre s’ouvre sur une définition de termes géographiques et hérités de l’organisation agricole :remembrement, futaie, mais aussi plus techniques comme Intrants (les ajouts non naturels aux cultures) ou agrainage nourriture des animaux sauvages dans leur espace naturel en vue de la chasse. Sa résidence marquée par la pandémie redéfinit le Covid 19 et le dernier chapitre se termine sur le mot résilience qu’il a trouvé dans son action de création.
La chimie argentique périmée donne à ces paysages plutôt paisibles une dimension inquiétante par des couleurs étranges qui évoquent des menaces chimiques. Leur esthétique extrême répond à l’urgence des questionnements sur l’exploitation intensive des ressources naturelles à travers des visées productivistes. L’objectif de l’appareil ne permet que des mises au point approximatives et la prise de vue à la volée au rythme des pas accentue ce caractère imprécis, pour une vision dystopique. Dans les mutations épuisant la terre l’homme ne trouve dans ces images qu’une possible présence furtive, fuyante ou démesurée par rapport aux silos géants de l’agro-industrie, même si un double portrait d’une mère et de son enfant apparait comme source d’espoir.
Alors que les menées documentaire de ce travail sont évidentes, le photographe conclut cependant son journal sur le complément attendu des ressources fictionnelles dont témoigne la post-production du livre :
« Peut être est ce alors à la fiction de nous sauver ? Car il est de son essence de tout chambouler, les codes, les constructions, et d’inventer des possibles. »