Entre sensibilité poétique et narration contemporaine, deux frères, Pierre et Jean Villemin nous présentent Les Saisons, une installation vidéo composée de cinq films présentée simultanément à Metz aux Musées de la Cour D’Or et à Berlin à la Saarländischen galerie, une œuvre dans laquelle ils développent un brillant travail artistique qui explorent les mécanismes intimes des processus mentaux entre images et textes.
Pierre et Jean Villemin travaillent en commun depuis 2002. L’implication poétique est une constante du travail vidéo qu’ils développent. Leurs travaux vidéo sont régulièrement diffusés et primés dans plusieurs festivals mondiaux.
Jean est artiste plasticien : commandes publiques du Ministère de la Culture, lauréat de plusieurs concours de sculpture, auteur de deux ouvrages : Petit déluge (roman), Discours sur la faîtière (récit). Pierre est réalisateur de films depuis vingt ans, responsable et programmateur d’un réseau de diffusion sonore et visuel en Lorraine, Les yeux de l’Ouie , et enseigne la vidéo à l’Ecole Supérieure d’Art de Metz Métropole.
Les Saisons , dernière née de leur création vidéo, présentée sous forme d’installation vidéo multi-écran, à travers cinq films figure désormais parmi leurs meilleures créations.
Nous sommes d’emblée frappés par la force sensible et poétique qui se dégage de ce travail, emblématique d’une narration contemporaine singulière. Pierre et Jean nous convient à une balade poétique sur les traces de Theodor Fontane, écrivain allemand, baladin brandenbourgeois, randonneur attentif.
Ecriture et image, narration et poésie, exploration de processus mentaux, un travail de mémoire sur la mémoire, souvenirs personnels et références historiques, voilà quelques caractéristiques de ce beau projet vidéo qui nous séduit autant par sa richesse esthétique que par sa complexité d’exécution.
De l’idée de départ jusqu’à son accomplissement final, notre curiosité de spectateur veut en savoir davantage sur ce travail réalisé en duo : élaboration, réalisation, références, présentation au public… Pour notre plus grand plaisir Pierre et Jean m’expliquent comment ce projet a vu le jour.
Une bourse de résidence artistique à Berlin entre 2006 et 2007, attribué par le Conseil Général de Moselle a été le point de départ : « « avoir des moyens pour développer un travail dans des conditions favorables » ». Le projet est lancé. Il ne reste plus qu’à le construire.
Marie Picard : En quelques mots, comment décririez-vous ce nouveau projet vidéo ? Pourquoi avez vous décidé de vous inspirer de l’œuvre de Theodor Fontane ? Comment avez-vous découvert ses écrits ?
Pierre et Jean Villemin : Theodor Fontane est un écrivain qui fait partie de nos références « berlinoises ». Il est emblématique d’un regard sur la nature qui nous est proche. A Theodor Fontane se sont mêlés des souvenirs personnels qui se superposent aux références historiques. A l’Histoire s’ajoute l’histoire personnelle de Pierre et Jean Villemin, notre histoire.
Nous connaissions Theodor Fontane, nous avions été à Berlin par le passé et dans le Brandebourg ; là-bas, tout le monde connait Fontane. Nous avions découvert la statue du poète qui a été faite dans les années cinquante, posée dans une immense cour d’hôtel style DDR où nous logions. Le cadre de l’époque était quasi-surréaliste et à présent la statue est toujours aussi incongrue dans cet univers de bungalows. C’était le point de départ de la quête à la fois d’images et de documentation.
Marie Picard : Quelles ont été les priorités esthétiques que vous vous êtes imposées dans l’élaboration ?
Pierre et Jean Villemin : La simplicité. Un caméscope HD, utilisé comme un appareil photo sur un trépied. Plans fixes. Format 16/9e…
Marie Picard : Pouvez-vous me parler du montage vidéo en lui-même ? La superposition des images et du texte s’est-elle imposée comme une évidence ?
Pierre et Jean Villemin : Notre travail consiste à mettre en évidence des processus mentaux. Nous sommes à la recherche d’un système narratif qui nous permet de retranscrire des pensées confuses et chahutées par le temps qui passe. Il s’agit d’une tentative de mise au jour de la mémoire confuse, de la pensée qui serpente. Le montage est le reflet de cette confusion de la mémoire traversée d’affects…
Marie Picard : Les souvenirs se « tissent » au fur et à mesure dans les images. Comment interpréteriez-vous la dimension personnelle que vous transparaître dans ce travail ? Comment vous situez vous par rapport à ce projet ?
Pierre et Jean Villemin : Les cinq films sont une déclinaison d’un lieu où des souvenirs personnels se mélangeant à des éléments en référence à Theodor Fontane.
Les films demandent à une attention soutenue, surtout Les Saisons : ce qui est écrit en sous-titres, dit en voix off, ce qui est à lire ou à voir sur les images participent de la narration. Theodor Fontane Archiv s’est bâti comme un hommage à Siegfried Kessler, pianiste de jazz mort l’année dernière au moment où nous étions dans le travail d’écriture. Postdam est construit sur un souvenir, et ainsi chaque vidéo peut être référencée à différentes échelles. Franziska est un modèle du genre : il y a plusieurs histoires différentes, une histoire de vase sumérien, une histoire d’amour ratée, un clin d’œil presque burlesque à la Tati. Etc.
Marie Picard : La dimension poétique qui en ressort a-t-elle toujours été un paramètre essentiel dans votre travail artistique ?
Pierre et Jean Villemin : L’implication poétique est une constante du travail. Dans nos films précédents (qui sont sortis en DVD chez Vidéoformes), il y a toujours eu cette tendance forte.
Marie Picard : La constitution des Saisons en polyptyque s’est-elle voulue comme une évidence / une suite logique, dans la présentation de ce projet au public ?
Pierre et Jean Villemin : Le polyptyque est une manière conventionnelle de cadrer en tableaux une narration peu conventionnelle tissée de manière serrée et parfois sombre. C’est notre façon de garder « un format lisible ». L’objectif est de communiquer vers le plus grand nombre.
Regarder une vidéo de Pierre et Jean Villemin c’est être littéralement séduit par cette écriture visuelle poétique et expérimentale. Entre narration continue et discontinue, la sensibilité affleure, le texte poétique y participe. A nous, de partager avec Pierre et Jean Villemin les mécanismes intimes d’une nouvelle narration contemporaine, dans laquelle les images et les textes si souvent parallèles « tissent » les souvenirs du temps qui passe et explorent les mécanismes de « mémoire » d’une très belle manière.