Les sculptures métaphysiques de Guillaume Couffignal

Il y a trois ans Alin Avila publiait une monographie des oeuvres de Guillaume Couffignal intitulée « Théâtres et autres points de fuite ». En cette rentrée il réunit à l’Orangerie du Sénat de nombreuses sculptures qui démontrent sa théorie de la sculpture que l’artiste définissait ainsi « Sculpter, c’est ôter la chair jusqu’à sentir sous ses doigts le squelette, la substance originelle de toute chose. »

Pourquoi faire de la métaphysique ? Pourquoi se poser des questions métaphysiques ? Au final, ne nous retrouvons-nous pas devant un mur ? Des questions sans réponses. En philosophie, le criticisme de Kant montre le plus clairement comment les grandes questions de l’immortalité de l’âme, de la liberté et de l’existence de Dieu sont fondues dans la raison elle-même, et comment la raison n’a pas le pouvoir d’y répondre de manière démonstrative : tragique condition de la pensée. Les sculptures de Couffignal donnent corps à ces questions.

La série Escalier  : pour quelle ascension ? Elévation de l’âme ? Gibet et mort au bout de la route ? Qu’il y a-t-il après la mort ? De quelle ascension intérieure le temps est-il le médium ? Aventureux escaliers et péripéties de la liberté.
La série Barque  : contingence de l’existence ? Nous eussions pu ne pas être, mais nous sommes embarqués écrit Pascal, ainsi plutôt qu’autrement rajoute Leibniz. De La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai au Bateau ivre de Rimbaud, en passant par La Barque de Dante de Delacroix, et même Le Radeau de la Méduse de Géricault, la métaphore de la barque nous parle de la précarité de l’existence et de sa contingence, de l’aventure humaine, jusqu’au mythologique Charon qui conduit aux Enfers. Les tempêtes de l’existence jouxtent les joies du voyage : les flots, leur rythme, la beauté des ciels, l’air salin.

La série Théâtre : qu’est-ce que la réalité ? Voilà la grande question de Platon. « L’essentiel est invisible pour les yeux » nous apprenait le renard de Saint-Exupéry dans son Petit Prince, un renard très platonicien. Pourquoi le théâtre ? Pour le théâtre dans le théâtre, lorsque Hamlet saisit le vrai à travers le mensonge du théâtre. Jouer pour saisir la vérité, de biais, car elle se cache, elle est essentiellement cachée.

Qu’est-ce qui révèle le vrai ? L’art peut-être. L’art de Couffignal pose magistralement la question. Ses sculptures intitulées Jubé montrent ce désir du voir ce qu’il y a derrière : le peuple des fidèles d’un côté dans la nef, le chœur liturgique des clercs de l’autre côté près du maître-autel. Dans les églises, le jubé avait peu ou prou la fonction de l’iconostase de la tradition orthodoxe : désigner le mystère. Le désir d’une réponse énonce la question elle-même en ouvrant cet espace autre.

Les sculptures de Couffignal gardent la légèreté de l’enfance, ce temps des étonnements et des « pourquoi » _ ceux-là mêmes que les philosophes et les artistes approfondissent et recueillent. Elles semblent légères, comme du bois qui flotterait à la surface de l’eau, comme des vanneries primitives dans lesquelles on conserve de précieux nutriments, comme des matières fragiles qui font l’étoffe du présent : de l’être menacé à chaque instant de sombrer dans le non-être, et qui se joue de cette menace en riant – densité du présent.

Car Couffignal coule du bronze. Miracle d’un savoir d’initié, il s’aventure dans le chaudron des alliages en artiste : il provoque la matière et la suit, l’épouse et lui répond. Les questions qu’il pose dans l’espace sont fondues dans l’âme humaine : font corps de bronze avec elle. De manière unique.