Les si divers chefs d’oeuvre du 21 ème siècle à l’ère digitale

Publié au format livre d’art par les Nouvelles Editons Scala les « Chefs d’oeuvre du 21 ème siècle à l’ère digitale » permet à Dominique Moulon , critique d’art et commissaire d’exposition, de réunir une cinquantaine d’oeuvres d’artistes internationaux. Choisies pour leur singularité elles relèvent de différentes pratiques actuelles où les technologies dominent.Leur réunion témoigne d’un état du monde en pleine mutation.L’auteur mène de chacune d’elle une analyse approfondie.

Docteur en Arts et Sciences de l’Art, membre de l’AICA et de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines Dominique Moulon fait suite avec ce livre à son essai l’Art au delà du digital publié en 2018 chez le même éditeur qui s’attachait au contexte de leur monstration ainsi qu’à leur rapport avec les autres formes de l’art contemporain.

Si un grand nombre de ces oeuvres se regroupent selon des thématiques qui animent aussi ces autres champs de recherches actuels, certaines ouvrent des propositions beaucoup plus spécifiques. Julien Prévieux connu pour ses jeux de logique appliqués à l’économie est présent ici avec une oeuvre chorégraphique. Renaud Auguste Dormeuil qui a mené une pratique photographique est choisi pour une oeuvre performée avec des drones qui transportent des messages à caractère philosophique. John Gerrard crée une nouvelle forme de drapeau interactif qui semble brûler dans le paysage. Christian Marclay propose une interrogation en oeuvre sur l’activation du temps réel. Avec son télescope intérieur Eduardo Kac amorce une critique du tout technologique.

L’un des premiers champs d’exploration pratique qui réunit plusieurs de ces artistes est celui de la post-photographie , on y trouve des stars comme Andreas Gursky, Thomas Ruff ou Valérie Belin. On y retrouve des expérimentateurs comme Corinne Vionnet ou le chinois Du Zhanjun. On est plus étonné d’y croiser Amalia Ulman dont la pratique du selfie est plus attendue. On est par contre reconnaissant à l’auteur de nous faire découvrir des créations comme celles d’Evan Roth ses murs d’images internet ou du duo Emilie Brent&Maxime Marion qui mettent en scène d’autres relations de couple.

Nombreux sont les auteurs qui empruntent les voies déjà très explorées des Nouvelles abstractions . Penelope Umbrico obtient un effet abstrait par la mise en batterie de couchers de soleil récoltés sur flickr. Tous utilisent une technologie comme source : Trevor Paglen explore le monde sous marin en suivant les câbles de fibre optique. Cory Arcangel réalise au format tableau des dégradés photoshop. Rafael Rozendaal crée des tissages internet. La collaboration entre Félicie d’Estienne d’Orves et Eliane Radigues dresse de longues frises par transcription du sonore vers le visuel. Un trio vedette réunit le musicien Steve Reich, le peintre Gerhard Richter et la cinéaste expérimentale Corinna Belz pour Moving Picture 946-3.

Une version plus fondamentalement technologique nous invite à l’exploration d’ Un monde de data . Le collectif disnovation.org crée une installation prédictive Art bot qui traite en temps réel des faits de communication. Tabor Robak dans une projection multi-écrans fait dialoguer des relations entre l’esthétique du jeu vidéo et celle du design d’un réfrigérateur. A partir de signaux d’électroencéphalographie Refik Anadol expose des applications génératives en grand format. L’installation d’Adam Basanta produit avec le face à face de deux scanners des impressions auto-générées. Sun Yuan & Peng Yu scénographient dans une cage vitrée l’action indépendante d’un robot industriel met en oeuvre une impressionnante sculpture. Samuel Saint Aubin invente une machine de création robotique pour une création artistique indépendante. Michele Spanghero avec Ad Lib imagine la survivance musicale des machines. Rafael Lozano-Hemmer de façon plus radicale met en place une machine autonome qui gère sa propre respiration Vicious Circulator Breathing. Plus ambitieuse encore l’installation Terre seconde de Grégory Chatonsky confie à la machine la création d’une alternative fictionnelle à notre planète.

Dans la refonte possible d’un autre univers les emprunts à l’univers de l’architecture font l’objet de créations mixtes. Michael Hansmeyer découpe au laser et assemble des feuilles de carton pour créer ses colonnes futuristes du Märchenwald Project. Dans son film Swatted ,réalisé sans caméra, mais avec des logiciels, Ismaël Joffroy-Chandoulis reprend l’esthétique du jeu vidéo pour la formation de bâtis d’architectures intérieures filaires. Deux artistes chinois inventent de cités du futur, Cao Fai imagine RMB City et Du Zhenjun dans ses tirages chromogènes de grand format les scènes apocalyptiques du jeu Colosseum.

Les acteurs de ces nouvelles scènes voient leur nature se modifier, le premier lieu de rénovation se joue dans la nature et la relation à l’animalhumain . Ian Cheng dresse les nouveaux paysages d’une nature revue aux possibilités transformatrices des technologies ou les animaux jouent le rôle d’Emissaries.La vidéo Grosse fatigue de Camille Henrot dresse le possible laboratoire de ces mutations, tandis que Katka Novitskova imagine le théâtre scientifique de leur apparition (installation Pattern of Activation).On retrouve bien entendu dans cette sélection Pierre Huyghe avec son chef d’oeuvre Uumwelt découvert cet été en Arles à la fondation Luma.

Ces nouvelles occurrences s’établissent aussi en préambule des recherches sur le post-humain .L’artiste illustrant la couverture du livre Kate Cooper revendique cette nouvelle forme de beauté avec ses portraits de la série Rigged. Douglas Coupland en imagine le chantier passant d l’abstraction à l’identité. Heather Dewey-Hagborg met en scène la relation de création entre l’ordinateur et le masque facial, objet de Stranger Visions.Le rapport à l’image humaine permet à Pascal Dombis de donner une vision fluctuante de cette Invisible Generation. Justine Emard prend conscience de la nécessaire Co(al)xistence entre la vie traditionnelle et ces nouvelles formes humanoïdes. Dans une sculpture stéréolithographique Oliver Laric dresse le portrait mixte d’un Sleeping Boy.Jon Rafman dans son Dream Journal met en scène ces nouveaux humains dans des scénario de battle et de jeux vidéo. D’une façon moins violente Lauren Lee McCarthy montre les possibles liens rénovés entre humains et objets connectés.

Ces divers exemples montrent le rôle essentiel que ces nouvelles pratiques artistique peuvent jouer dans des définitions différentes des rapports personnels au monde et aux autres que nous pouvons entretenir aujourd’hui et dans le futur.