Les surimpressions lomographiques de Cam Linh Huynh

Depuis quelques années Cam Linh Huynh utilise plusieurs appareils lomographiques qui l’accompagnent dans ses nombreux périples. A l’ère du tout numérique, rencontre avec une tenante d’un courant argentique particulièrement vivace de la foto povera actuelle…

Yannick Vigouroux : Quand as-tu commencé à faire de la photographie ?

Cam Linh Huynh : Dans le courant de l’année 2011, mon frère m’a offert un appareil Lomo en rentrant des États-Unis et j’ ai mis un peu de temps avant de vraiment commencer à jouer avec. En fait c’est en commençant à appuyer ludiquement sur le bouton de cet appareil argentique fish-eye donnant des résultats éloignés de la réalité que j’ai retrouvé le plaisir des appareils d’avant. C’est un appareil argentique, on est limité techniquement, si on se plante on se plante vraiment !… Je me suis alors intéressé aux autres appareils de la marque Lomography.

YV : J’ai vu un autoportrait de toi pris au Lomo LC-A…

CLH : Ma pratique du LC-A+ est apparue à la fin de l’année 2015. Après mon expérience du fish-eye, Je me suis d’abord acheté un Diana F+ [tout en plastique] ce qui était un petit défi au niveau du cadrage car ce n’est pas évident au début de pratiquer le format carré tant nous sommes désormais habitués aux formats rectangulaires des écrans numériques. Ensuite j’ai gagné une La Sardina, un appareil en plastique de très basse qualité, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’amuser à faire des superpositions. Ma démarche au départ, c’est vraiment de l’amusement. La différence avec les appareils numériques, c’est que les photos que je prenais pendant mes voyages, je ne les regardais pas vraiment, je les stockais quelque part. J’étais contente de les avoir prises mais n’avais pas la démarche de les regarder en détail. Tandis qu’avec mes photos argentiques j’ai l’impression de les redécouvrir à chaque fois que je les regarde. L’attente du résultat je trouve cela très intéressant et stimulant.

C’est un autoportrait pris en janvier 2016 lors de mon périple en Amérique du sud, je faisais du stop avec Camille, une autre voyageuse française sur la route 40 en Argentine. Nous sommes parties d’El Bolson et sommes arrivées à El Calafate en deux jours et demi. Une expérience inoubliable. Cette photographie est prise depuis un camion chilien. J’ai joué un peu de guitare (la guitare voyageuse) dans le camion. Le conducteur, très sympathique, nous mettait de la musique des années 1990. Je ne comprenais pas très bien l’espagnol mais grâce à la musique, nous avons partagé un plaisir commun durant ce moment éphémère. Nous avons fait un périple plein de surprises, rencontré des routiers chiliens, des motards colombiens, des locaux qui nous ont avancé par petits bouts de chemin.
Une belle aventure collective.

YV : Pourquoi des surimpressions ?

CLH : Il s’agit au départ d’erreurs. Avec La Sardina il y a une fonctionnalité surimpression que j’ai exploité. Avec le Diana j’ai déclenché plusieurs fois sans avancer le film. Cela a produit des accidents artistiques. La surimpression permet de recréer des univers, une autre vue enrichie que le réel. Ma vision n’est pas une vision du réel. Ce sont plutôt des images mentales…
J’aime surtout créer/capturer le mouvement dans ma photographie. L’idée de mouvement perpétuel en particulier.

Il m’arrive toutefois de réaliser des prises de vue simples que j’affectionne beaucoup. Mais la superposition est la pratique qui me caractérise le plus.

YV : Je trouve que certaines de tes images ont à voire avec le fantastique ou le surréalisme (le cadavre-exquis), l’inconscient technologique cher à Walter Benjamin ?

CLH : Certes mon inconscient a une belle part dans ce que je produit, je laisse le privilège à celle ou celui qui observe de compléter cette interprétation qui sera unique. Je trouve le partage de ces différents points de vue très enrichissant.

YV : Superposer des vues sur une même image c’est aussi mixer plusieurs fragments d’espace-temps, refuser l’ « instant décisif » cartier-bressonnien… 

Il y a souvent aussi du texte dans tes images…

As-tu besoin de voyager pour prendre des photographies ?

CLH : Oui, il y a des anecdotes.
J’aime cette idée que le sujet est traversé par ses expériences qu’il enrichit de ses expériences. Qu’il soit en constante en interaction avec son environnement et son milieu. Il y a aussi le côté graphique que j’entremêle avec mes sujets qui peut me séduire. Dans le cas de l’art urbain, il témoigne de la mutation urbaine, sociétale qui est indissociable de l’humain.

Mes lomos m’ont beaucoup accompagnée en voyage mais je m’adapte aussi à mon quotidien et il y a toujours des choses à raconter. Je trouvais au départ qu’il était difficile de prendre des photos de Paris mais cela évolue, j’ai plus de facilités quand j’ai un projet particulier qui m’anime. Je n’arrive pas à prendre aisément des photographies de rue au hasard.

YV : Que penses-tu de la fameuse injonction des créateurs de la lomographie dans les années 1990 : « Don’t think. Just shot ! » ?

CLH : Je pense que c’est un excellent conseil qui amène de la spontanéité dans la pratique, et de belles surprises mais qui peut être onéreux. Donc si vous le pratiquez et que vous avez des moyens limités : Jouez en essayant différents angles de prises de vue. Avec la pratique, la spontanéité peut être encore là même si l’œil s’adapte et se projette plus rapidement le résultat.

YV : Tes photos sont très liées je crois aussi à des rencontres ?

CLH : Les rencontres faites dans des voyages mais aussi de personnes inspirantes croisées dans le quotidien. On est riches de nos rencontres et la photographie est ma manière de l’exprimer.

YV : Quels sont tes projets ?

CLH : « Portrait lomo » est un projet qui vise à mettre en lumière des femmes artistes. Pour chacune d’entre elles, je réalise une série de portraits d’elle en train de réaliser une œuvre et je l’associe à un article où je partage l’histoire de ma rencontre avec l’artiste, son parcours, ses conseils.

Rendre davantage visible les minorités me tient aussi à cœur. Notamment celle de la communauté française asiatique dont je fais partie. Je participe à un projet organisé par Sororasie, un réseau d’entraides de femmes asiatiques dans un esprit d’inclusivité. On a plutôt tendance à penser en France que les asiatiques constitue un bloc monolithique, qu’il n’y a pas de nuances. Pourtant, tout le monde est différent, c’est cette richesse que l’on a envie de mettre en valeur. J’ai participé à ce projet où des femmes asiatiques prennent en photo d’autres femmes asiatiques. Cela diffère du regard que posent sur elles habituellement les photographes (hommes blancs hétérosexuels). Le but est de proposer un autre regard sur notre propre communauté. Il s’agit de se réapproprier notre narration.